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Manuel de survie à l'usage des incapables
Grand format
Inédit
Tout public
Vivant™
Attention ! Ce Manuel de survie à l'usage des incapables de Thomas Gunzig est un petit bijou. Il ne faut pas se fier au titre qui laisse à penser à une énième pignolade germanopratine (et n'a pas grand-chose à voir avec le roman) : en quatre cents pages, Thomas Gunzig offre une œuvre âpre, puissante, qui emprunte au polar et à la SF leurs formes pour parler avant tout du monde tel qu'il est, de cette inhumanité croissante et de cette marchandisation de l'humain qui nous pourrit tous la vie, nous qui alternons constamment entre la position du bourreau et celle de la victime ou... les deux à la fois, tant le système mortifère sait s'auto-perpétuer. Car l'auteur, évitant judicieusement toute politicaillerie, prend le meilleur de la SF prospective — l'extrapolation — sans se soucier de jargon ou d'accessoires : dans le monde qu'il décrit, qui ressemble désespérément au nôtre à ce détail près que tout a été privatisé, tout jusqu'à la reproduction humaine qui se fait par génétique avec parfois des rajouts, façon "Bienvenue à Gattaca" pour donner des êtres hybrides gardant certaines caractéristiques des donneurs non-humains avec des conséquences qu'on vous laisse découvrir ! Et comme dans Brazil, tout découle de l'absurdité inhumaine de la bureaucratie, où une décision erronée amène des conséquences catastrophiques : pour avoir eu une liaison, deux grouillots d'un de ces temples de l'achat élevé en religion doivent être virés, en accord avec le règlement. Sauf que survient l'accident bête qui coûte la vie à Martine Laverdure, simple caissière qui eût le malheur d'aimer l'employé modèle Jacques Chirac Ossomo. L'ennui, c'est que Martine avait pour fils quatre loups humains, des accidents génétiques dépareillés par leur couleur (puisque personne n'avait pris la peine de leur donner un nom), des enfants de la cité qui venaient justement de braquer avec succès un fourgon de convoyeurs. Une fratrie lupine qui n'aura de cesse de venger leur mère en s'en prenant à Jean-Jean, le responsable de sa disgrâce, un lâche ordinaire (comme nous le sommes tous), bon petit soldat du système qui le broie...
Le monde plus que kafkaïen que décrit Thomas Gunzig, parsemé de notations d'une justesse impitoyable, serait insupportable de noirceur et de cynisme s'il n'y avait derrière tout ça un humour féroce et une humanité évidente. L'auteur ne pontifie, ni ne donne de leçons. L'ensemble a la froideur d'un constat impitoyable que renforce davantage une pirouette finale d'une ironie glacée (lorsqu'on a copyrighté le vivant, que reste-t-il, sinon rentabiliser la mort ?). Et on y ajoutera une écriture sèche, précise, vivante digne des meilleurs thrillers. Cela donne donc un ouvrage mutant qui pourrait être l'équivalent actuel du visionnaire L'Imprécateur de René-Victor Philes, et qui s'avère certainement être un des meilleurs ouvrages de cette fameuse "rentrée littéraire" qui n'en finit pas de rentrer. Il n'aura certainement pas le retentissement des starlettes médiatiques, mais si c'était nous, les lecteurs, les cochons de payants, qui faisions son succès tous seuls comme des grands ?
Citation
Jacques Chirac Oussoumo avait raison : ce qui allait suivre allait être terrible. Il ne savait pas encore de quelle manière, mais ça ne pouvait être que ça : terrible. Être terrible, c'est le destin des loups et ce qui allait arriver, c'était avant tout dans l'ordre des choses.