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Michael Koryta : Des histoires de rédemption
© David Delaporte/k-libre
k-libre : Je sais que vous avez toujours voulu écrire des romans policiers. Avez-vous fait des études de criminologie pour servir votre écriture ou dans un but professionnel ?
Michael Koryta : C’est un mélange des deux. Mais avec une prédominance accordée à l’écriture. J’ai toujours voulu écrire, je savais que c’était le genre de romans que je voulais écrire. Et en travaillant dans cet univers-là, ça me permettait de voir les choses de l’intérieur.
Pourquoi le genre policier ?
Ça a commencé avec mon intérêt pour les films noirs. Mon père était un grand fan d’Humphrey Bogart, Alfred Hitchcock. J’ai grandi entouré par ces films, par ces histoires, et quand j’ai commencé à écrire, c’est donc la forme la plus naturelle qui me soit venue à l’esprit.
Vous avez été plus inspiré par le cinéma que par la littérature ?
Au début, ce qui m’a amené à lire des romans policiers, c’est plutôt le cinéma. Puis j’ai commencé avec Hammett, Chandler, et continué avec des auteurs plus contemporains Connelly, Lehane, Pelecanos. C’est ces trois-là qui ont eu l’influence la plus prépondérante sur mes débuts.
Vous exercez le métier de détective privé ? Est-ce que ça vous a influencé ?
Non, plus maintenant, j’ai arrêté en décembre dernier. Et maintenant, j’écris à temps plein. Le métier de détective m’a énormément influencé pour les détails. On comprend la réalité de ce travail. Mais pour les intrigues et les personnages, etc., non, ça ne m’a pas influencé.
Vous n’avez rencontré de mafieux russe...?
Non, je n’ai jamais travaillé dans cette direction ! J’ai travaillé sur beaucoup de cas et d’affaires dans pas mal de domaines : des bandits, des assassinats, des fraudes, des histoires de garde d’enfants. Un cas de défense pour la peine de mort.
(Robert Pépin m’explique qu’aux États-Unis la défense d’un accusé, d’un présumé a le droit d’engager des gens pour mener son enquête à elle ; ils font très souvent appel à un détective privé.)
Pensez-vous désormais vous consacrer uniquement à l’écriture ?
Si les livres se vendent bien, je resterai écrivain à temps plein.
Est-ce que ça met une pression d’avoir beaucoup de succès si jeune ?
Je sens la pression sur mon âge quand je n’écris pas ; mais dès que j’écris, il n’y a plus rien qui compte, juste l’intrigue et l’histoire.
Vous écrivez vite, vous avez écrit beaucoup de livre en peu de temps...
Oui, j’écris tous les jours, 15 000 mots par jour (rires). Ça me prend entre trois et six heures. Ça dépend du flux, de comment ça vient. Il y a un premier jet le plus rapide possible. Quand j’ai le premier jet, je reviens dessus et, là, ça devient pénible de reprendre le tout. En général, j’ai besoin de quatre révisions avant d’arriver à quelque chose qui me satisfait.
Quel est le point de départ : l’intrigue, le sujet ?
Le point de départ, en général, c’est une scène. À partir de là, j’essaie d’extrapoler et de voir ça dans un tableau plus vaste. Mais je n’ai jamais aucune idée de l’ensemble quand je commence. Je vois seulement à trois ou quatre chapitres de distance. Par conséquent, je ne vois pas les renversements de situation très loin en avance. Je n’ai pas de plan préétabli, je ne sais pas où va filer l’histoire.
Oui, souvent on ne sait pas avant la fin du livre quel est le rôle de tel ou tel personnage dans l’histoire, s’il est sympathique, coupable ou non. Par exemple, Corbett, dans Que justice soit faite, jusqu’à la fin on ne sait pas vraiment s’il va être sympathique.
J’ai commencé à comprendre ça à la troisième partie du livre, je me suis dit : "Tiens, je commence à comprendre ce personnage". En général, quand je dis que les révisions sont très pénibles, c’est parce que le premier jet n’a pas beaucoup de sens. Donc, c’est dans la deuxième ou troisième phase de réécriture que les choses commencent à se mettre en place, que je peux avoir plusieurs couches de sens dans l’histoire. C’est comme ça que ça s’écrit.
C’est parce que votre père est de Cleveland que ses livres s’y déroulent.
Mes parents, toute ma famille au sens large du terme, sont tous de Cleveland. Quand j’étais jeune, j’y allais souvent l’été, pendant les vacances. Mon père m’emmenait dans le quartier et me racontait ce qui s’y était passé. Les endroits que je décris dans les livres sont plein de ces histoires. Et l’impression que me donnaient ces personnages, ces histoires, m’est revenue très très fortement quand j’ai commencé à écrire.
Pour un lecteur français qui ne connaît pas très bien cette région des États-Unis, est-ce que c’est une ville qui a une identité particulière ?
C’est une ville très ouvrière, c’est ce qui la rend intéressante. Il y a une séparation très précise entre les gens qui ont de l’argent et ceux qui n’en ont pas. Et dans une ville qui a été construite par des ouvriers, cette friction, cette tension est toujours là. La classe ouvrière a commencé à disparaître, et cette disparition crée un paysage parfait pour des polars.
Est-ce qu’elle a une image particulière auprès des Américains ? J’ai lu que c’était une ville qui était source de moquerie.
C’est une ville dont on a beaucoup rigolé, dont on s’est beaucoup moqué. Elle a perdu les aciéries, elle est en déclin, elle a du mal à survivre. Par exemple, il y a une rivière qui la traverse et qui était tellement polluée qu’elle a pris feu. On s’est foutu de cette ville.
Mais c’est comme Naples !
C’était dans les années 1960. Et c’est ça qui a donné le ton sur la façon dont on a perçu la ville. Mais quand j’ai connu Cleveland, c’était quand même beaucoup mieux qu’à cette époque-là. Il a de beaux endroits dans cette ville quand on connaît son histoire, si on y passe du temps. Et ça a fait de cette ville un paysage qui me plaisait pour écrire.
On a l’impression que tous les personnages sont un peu coupables même ceux qui semblent positifs. Julie, par exemple dans La Mort du privé, a tué son mari. Tout le monde est plus ou moins corrompu. Même ceux qui ne le sont pas sont coupables d’un méfait.
Ce n’est pas vraiment que tout le monde soit corrompu. Je voulais écrire des personnages qui soient aussi près de la réalité que possible. Je ne voulais pas du chevalier blanc, parfait, impeccable. Je voulais aussi des tueurs, pour lequel le lecteur a de la sympathie à un certain niveau. Je ne voulais pas d’une fiction trop parfaite parce que, dans la vie, il y a des zones d’ombre.
Le personnage de Lincoln a parfois des coups de sang, il fait un peu n’importe quoi. Il n’est pas parfait.
Non, il n’est pas parfait du tout. Quand j’ai commencé la série, je voulais un personnage un peu sanguin, un peu foufou, qui agisse sur l’émotion, en face d’un personnage plus vieux, plus rationnel, plus logique. C’était très important pour moi que ce personnage de Lincoln évolue et je voulais que Joe soit cette espèce de personnage qui le fasse avancer.
Joe va-t-il disparaître de la série ? Pour moi, le héros n’est pas tant le jeune que le duo qu’il forme avec Joe. Lincoln a besoin de Joe dans Une tombe accueillante.
Non, il ne va pas disparaître car, oui, c’est le duo qui compte. Le livre qui suit, c’est sur ce personnage de Lincoln qui a peur d’être seul, qui a besoin de son aîné pour l’aider. C’est inspiré de la mythologie grecque, le jeune héros qui a besoin du sage qui va le remettre dans le droit chemin de la quête.
Pourquoi avoir alors écrit à la première personne ?
C’est un mélange de plusieurs choses. Dans la tradition américaine du détective privé, en général les détectives parlent plutôt à la première personne. Ce que je voulais c’était montrer la façon dont il change mais pas à travers la vision d’un autre, le montrer de l’intérieur.
De quoi parle votre quatrième livre (le hors série qui n’est pas encore traduit en français) ?
C’est sur les périls, les dangers de la vengeance. Le personnage c’est le fils d’un marshall (une sorte de super-flic). Le fils a toujours vu, dans son père, un héros et, au fur et à mesure, qu’il grandit il se rend compte que son père tuait des gens pour l’argent et qu’il travaillait pour le crime organisé. Toute l’histoire tourne autour du mépris pour le père qu’il découvre et puis son amour filial.
Pourquoi avez-vous fait une pause avec Lincoln et Joe ?
J’ai commencé dans le boulot très jeune. Mais je ne voulais pas que le lecteur pense que mon personnage c’est ainsi et que ça va toujours être comme ça. Je voulais montrer j’avais un champ d’action vaste.
Ce n’était pas par lassitude.
Non, la seule chose dont je me lassais c’est de l’écriture à la première personne, c’est difficile d’écrire comme ça. Je voulais écrire à la troisième personne et avec des points de vue multiples.
Donc dans le quatrième, il est question encore de crime organisé comme dans les Lincoln. Est-ce un sujet qui vous intéresse car il revient quand même dans les trois livres ?
Ah plutôt de violence organisée. Celui où ça joue moins quand même, c’est Une tombe accueillante. Il me semble que la motivation d’un acte de violence est beaucoup plus claire et beaucoup plus précise ; il y a une différence entre le crime passionnel qui est lié à une personne et le crime organisé par plusieurs individus. L’idée que quelqu’un puisse tuer des gens ou exercer une violence de manière professionnelle a quelque chose de glaçant et de fascinant pour moi.
Ça permet pour l’histoire d’établir des réseaux.
Oui, parce que plus les enjeux sont forts, plus le lecteur est engagé dans l’histoire.
Êtes-vous d’accord pour dire que c’est une vision plutôt noire de la société ?
Pas nécessairement. Parce qu’à la fin ce sont des histoires de rédemption.
Mais pour certains personnages pas pour tous...
Mais c’est vrai dans la vie aussi.
Et le prochain dernier Lincoln Perry ? Pas de littérature blanche ?
J’aime bien raconter plein de choses qui m’intéressent et ce genre de littérature me le permet. Le suivant ça sera un roman de suspens avec du surnaturel. Une histoire de crime et de fantômes.
Pourquoi le surnaturel ?
Ce n’était pas prévu, ça tient au lieu. C’est une station balnéaire qui marchait très bien dans les années 1920. C’était devenu une espèce de ruine. Et il y a trois ans, elle a été restaurée, c’est devenu très beau. C’est une histoire qui fait le pont entre les deux, et l’option qui se présentait toujours, c’était un fantôme qui le permettait.
Liens : Michael Koryta Propos recueillis par Marie-Caroline Saussier