Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit du japonais par Claude Martin
Paris : Le Seuil, 0000
282 p. ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-02-103471-4
Coll. "Cadre vert"
Lutte des dominants
Natsuo Kirino sort des postulats du roman noir pour nous proposer un huis-clos en plein air : Sa majesté des mouches, version adulte avec vingt-trois Japonais qui échouent sur une île perdue dans l'océan Pacifique. Parmi eux, une seule femme, Kiyoko, qui devient immédiatement l'objet de tous les désirs égarés. Femme chérie, puis convoitée, elle nous propose de suivre les errances des naufragés à travers son prisme. Dans l'immédiat, on baptise cette île Tôkyô, et on la divise en quartiers qui portent les noms de sa grande sœur originelle. Un semblant de civilisation pour ne pas oublier car ces vingt-trois personnes ne savent qu'une chose : elles ne reviendront jamais de cette île. "M'aimer d'abord c'est collaborer avec moi", disait Saint-Exupéry dans Citadelle. Kiyoko, dont le mari est mort étrangement en sautant du haut d'une falaise, sait que pour éviter de devenir le jouet de la libido de tous ces hommes, il lui faudra en prendre le contrôle. Elle va donc mettre en place un système sélectif pour remplacer son ancien mari. Mais les tensions ont à peine le temps de naître, que de nouveaux naufragés font leur apparition... Il s'agit d'un groupe de Chinois, qui occultent toute bienséance et s'isolent sur la partie opposée de l'île, s'empressant de la renommer Hong-Kong !
Natsuo Kirino chronique la force d'organisation chinoise qu'elle oppose au flegme japonais ; l'efficacité chinoise contre la soumission japonaise synonyme de fatalité. L'auteur prend le parti d'écrire un pamphlet appuyé contre son pays, à l'encontre de cette façon qu'a le peuple d'accepter la nature et son mouvement intransigeant et parfois destructeur : cette posture qui est tant adulée par les Occidentaux qu'elle en devient une imagerie d'un Japon tombé en désuétude. À l'inverse, les Chinois décrits par Natsuo Kirino sont entreprenants et conquérants. Ils commencent surtout à étudier toutes les possibilités pour s'échapper de l'île. On sent parfois poindre une caricature voulue élevée en une métaphore des diverses tensions et histoires partagées par les deux pays telle la lutte récente pour s'accaparer les richesses sous-marines des îles Senkaku (si c'est en japonais) ou Diaoyutai (si c'est en chinois). À travers ce miroir insulaire où les équipes jouent au coude à coude, Natsuo Kirino semble frapper à coups de pelle sur son peuple. Le personnage de Kiyoko, l'ayant bien compris, passera ainsi de l'autre côté, n'hésitant pas à trahir les siens pour rejoindre une équipe de Chinois dans une entreprise d'évasion rocambolesque.
Écrit en 2008, bien avant la catastrophe de Fukushima, le roman offre à Watanabe, un autre des personnages fantasques qui le parsèment, l'occasion de se construire une maison avec des bidons de déchets radioactifs trouvés sur l'île en une parabole de constructions d'une société, jusqu'à l'avènement du sacré et de sa destruction, qui conduit à la naissance de la vie moderne. L'Î de Tôkyô est un roman ambitieux, toujours d'une ligne assurée, et muni d'un pouvoir de captation indéniable et réjouissant. La survie est ici une question de pouvoir et de luttes des dominants, qui finalement ne nous est pas si éloignée.
NdR - L'Île de Tôkyô a bénéficié d'une adaptation cinématographique (Tokyo-jima) de Shinozaki Makoto non diffusée en France à ce jour.
Citation
La paix et la prospérité de Tokyo aujourd'hui ont été bâties grâce à ces morts respectables.