La Mort s'habille en crinoline

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Roman - Policier

La Mort s'habille en crinoline

Historique - Tueur en série MAJ mercredi 26 mars 2014

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 20 €

Jean-Christophe Duchon-Doris
Paris : Julliard, mars 2014
318 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-260-02148-3

Double je

Voici un roman qui va rendre folles les couturiers et les rédactrices de mode ! Imaginons Mary Poppins sautant dans les tableaux de Winterhalter et se retrouvant emportée par "toute une joaillerie fondue dans les velours, dans les peluches et dans les soies, avec des ruissellements coulés dans la profondeur des fronces, des gris semblables à du plomb terne, des blancs battus de neige, des bleus puisés dans des trous d'eau, des rouges croûteux ainsi que du sang caillé". Outre sa solide documentation historique, le magistrat Jean-Christophe Duchon-Doris est un fan du descriptif des couleurs et des sens, des peaux rougissantes et des amours à la Boucher où des cousettes espiègles tombent amoureuses de princes expatriés. Il y a aussi l'étonnante érotisation de la femme enchâssée dans ses atours, passive, voire morte. Avec la célèbre comtesse de Castiglione (1837-1899) comme pivot d'intrigue, plongeons au cœur de la mode du milieu du XIXe siècle où apparut le marketing moderne de la haute-couture. Saviez-vous que la comtesse de Castiglione est un précurseur de l'art contemporain et de l'autofiction ? Elle a même fait l'objet d'un livre où elle s'impose comme une Cindy Sherman du Second Empire (L'Éternel retour de la Castiglione de Marianne Nahon/La Différence, 2009). Très tôt, elle se lance dans les mises en scène d'elle-même vêtue de robes invraisemblables, scènes qu'elle immortalise grâce à Pierre-Louis Pierson. Ce photographe fidèle la suit pendant quarante ans. Plus de quatre cents portraits sont connus. Il est d'ailleurs l'un des suspects du livre et suscitera cette réflexion vertigineuse de la part de la petite bonne de la comtesse : "Puisqu'à chaque photographie de Mme de Castiglione, cet homme tire son double du néant, puisqu'il a le pouvoir, grâce à son art, de donner vie à d'autres comtesses, comment ne pas comprendre qu'il s'autorise aussi, en symétrie, quand il croise un double de la comtesse, à lui donner la mort ?" On se pince pour accepter ce discours digne de Borges dans une bouche aussi innocente.
Le livre s'ouvre en 1856 sur la fabrication de la robe à crinoline que la comtesse de dix-huit ans porte au grand bal des Tuileries, à la fin du chapitre 2. Coup de théâtre devant la haute société et récompense : Napoléon III devient son amant pendant deux ans. Au chapitre 3, sept ans sont passés mais la Castiglione n'est pas oubliée. Des femmes lui ressemblant sont égorgées. On découvre que, sur huit jupons, la fameuse crinoline à dentelle d'Angleterre et plumes de marabout, de huit mètres de diamètre, dix mètres de tissu, vingt-huit cerceaux d'acier flexibles fabriqués par la firme Peugeot et "maintenus entre eux à distance égale par les rubans de coton" a été copiée. Visiblement le souvenir de la vision de ce bal obsède un assassin. Et quoi de mieux pour entretenir son fantasme destructeur que de revêtir des sosies avec cette crinoline avant de les tuer ? Le jeune Dragan Vladeski, très beau et irradiant le désir, entré dans la police par piston, hérite de l'enquête. Il noue une intrigue avec une petite main de l'atelier qui façonna la robe, et dont l'amie et collègue est l'une des victimes.
Jean-Christophe Duchon-Doris nous promène dans un Paris livré au travaux d'Haussmann. Voilà les patronnes d'atelier mises en danger par l'arrivée du couturier Worth. Pour les présentations, celui-ci rejette les poupées habillées de petites maquettes de robes au profit de sosies de ses clientes. C'est l'invention du mannequinat. Pierson développe de nouvelles techniques pour rafler le marché des autres studios. Voyage à la morgue ou chez l'un des huit cents plumassiers parisiens. D'habiles transitions et objets lient tous les éléments de ce petit monde. Ponctuant l'intrigue simple, des séquences magnifiques s'imposent à la mémoire comme celle d'une victime dérivant sur la Seine, poupée alanguie par la mort au milieu du bouillonnement de sa crinoline. Le tour de force de l'auteur réside aussi dans l'exploitation de la Castiglione en actrice d'une scène finale époustouflante qui traduit son goût du double je.
En conclusion, l'auteur a bâti son roman comme la crinoline de la comtesse. Sur les armatures, solides mais souples, il déverse ses tonnes de satin, dentelles et colifichets pour coudre au fil d'un style souvent ampoulé gavé d'adjectifs et de métaphores ("le soleil couchant jette, par endroits, des poignées de pivoines, de tulipes multicolores et d'anémones"). Mais ce style, justement, s'avère inhérent à l'art, au luxe et à la mode de l'époque. C'est l'ultime touche de l'évidence artistique et, en cela, son roman dépasse le simple statut littéraire pour acquérir l'aura d'une possession.

Citation

Pour lui passer la robe, il faut que trois femmes de chambre montent sur des chaises et soulèvent le vêtement avec de longues baguettes pour le dresser au-dessus de sa tête et le descendre par les épaules.

Rédacteur: Michel Amelin lundi 24 mars 2014
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