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Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Karine Lalechère
Paris : Sonatine, mars 2014
312 p. ; 22 x 14 cm
ISBN 978-2-35584-243-6
Actualités
- 17/06 Auteur: Relecture de Shane Kuhn : mon nom est Lago, John Lago
"En fait, si tu te fais choper en train de lire ce guide, tu seras mort avant d'avoir tourné la page et ton cadavre sans visage et sans doigts sera divisé entre six sacs-poubelle et dissous dans une cuve d'acide sulfurique d'une usine chimique anonyme au fin fond du New Jersey."
On nous apprend dans une notice que Shane Kuhn est "producteur et metteur en scène et qu'il vit à Los Angeles". C'est sans doute pour cette raison que l'on ressent à la lecture d'Un stagiaire presque parfait, son premier roman, la patte d'un homme de l'image et surtout le don pour un pitch attractif. Ce titre se présente en effet comme Le Guide de survie à l'usage des jeunes stagiaires écrit en secret par John Lago, ex-tueur à gage de RH Inc. S'ouvrant sur une note de service prioritaire ultra secrète du FBI, on y découvre que RH Inc. est une agence avec beaucoup de moyens qui infiltre ses tueurs auprès d'hommes d'affaires importants et ultra protégés, grâce au statut désespérant de "stagiaire", pour ne pas dire "esclave", couverture commode pour se faire oublier, repérer les lieux, et se placer peu à peu dans l'organigramme avant d'occire la cible malgré tous les systèmes de sécurité.
John Lago prend donc la parole et donne ses sages conseils au lecteur. Enfant de la balle, recruté à onze ans par le patron de RH Inc., une caricature de mercenaire à mâchoire et épaules carrées, il a été formé à toutes les techniques de combat, camouflage, infiltration avant d'exécuter ses premiers contrats. À vingt-cinq ans, il doit prendre sa retraite car on peut difficilement se faire passer pour un stagiaire crédible au-delà. Et c'est justement là que le bât blesse car RH Inc. ne le laissera certainement pas couler des jours tranquilles sur une île paradisiaque avec toutes les infos qu'il a dans ses bagages...
Après les conseils pratiques et drôles des premiers chapitres, illustrés par des scènes issues de ses précédents contrats, John Lago amorce le récit de son ultime mission et parallèlement, le récit de son enfance. Très vite, le roman, par son ampleur des actions, ses combats multiples et incroyables, ses références cinématographiques, s'inscrit dans un courant parodique entre Arnold Schwarzenegger, James Bond et Jason Bourne. Les situations sont si codifiées que l'on peut même voir, dans certains rapports de personnages, des hommages appuyés à des films comme Mr et Mrs Smith avec le couple Brad Pitt/Angelina Jolie. Le livre ne serait-il pas un, ou des scénarios, refusé(s) que Shane Kuhn aurait remonté(s) avec l'amusant guide comme cerise sur le gâteau, arôme critique sociologique ? Peut-être. Car après le guide servant d'appât, le roman prend le pas, ce qui fausse la structure globale.
Mais, surprise ! Loin de tomber dans un écrit parodique et bas de gamme que l'on aimerait mieux voir en image, Shane Kuhn tient la route, bifurque, exploite plusieurs pistes, fonce, ralentit et surprend toujours. Alors que les cadavres des hommes de main s'empilent par douzaines, John Lago mène sa double vie de stagiaire bouseux et de machine à tuer en entamant une intrigue avec une avocate associée qui elle aussi joue double jeu. Il enquête, en plus, sur son enfance et l'identité de son père biologique. Qui manipule qui ? Tout est bouclé dans une incroyable scène finale à tiroirs. Voilà un roman surprenant qui se joue des codes Action hollywoodiens d'une façon littéraire et originale.
À recommander de toute urgence.
À noter l'excellence de l'illustration de couverture, due à Roberto de Vicq de Cumptich (vrai nom pour jouer le méchant noble décadent dans un James Bond). Cette signalétique historique d'ossuaire est entièrement constituée de matériel de bureau ! Au-dessus de ce dessin, "Un tueur sur la route sous Prozac", slogan imprimé en rouge, issu de la critique du Figaro Magazine lors de la première édition chez Sonatine sous le titre... Guide de survie en milieu hostile... Encore une preuve que certains critiques ne lisent rien, trop occupés à monter leurs petites phrases destinées à être reprises par les services de presse qui font de la pub à leur support par ricochet. Les éditeurs (et les lecteurs) devraient se méfier...
Le James Bond du crime
Même chez les auteurs de thriller, il arrive un moment où jouer avec les codes du genre ne suffit plus - c'est d'ailleurs ce que les théoriciens évoquaient déjà pour la littérature générale avec le post-modernisme. Cette évolution du genre gagne donc à présent les paralittératures, et c'est sans aucun doute dans cette lignée que Shane Kuhna a décidé de travailler : décrire le milieu des tueurs à gage de l'intérieur, avec des rebondissements réguliers, des morts en cascade, le tout avec ironie et recul.
Tout est raconté du point de vue de John Lago, un narrateur qui doit effectuer sa dernière mission : découvrir qui trahit les clients dans un cabinet d'avocat et l'éliminer. Pour se faire, de manière discrète, le meilleur moyen est de devenir stagiaire dans l'entreprise car personne ne remarque les stagiaires... Ces passages donnent lieu à un humour pince sans rire, à la ressemblance des romans sociétaux de Donald Westlake.
Comme dans tout thriller qui se respecte, il faut accorder une part de l'histoire à une relation amoureuse orageuse. C'est le cas car le narrateur a besoin d'une femme déjà installée dans l'entreprise pour grimper dans la hiérarchie et obtenir des renseignements sur les cibles potentielles. Bien évidemment la relation est complexe car la femme en question est bien mystérieuse capable tout aussi bien d'être une oie blanche que de jouer un double, voire un triple jeu. Le romancier va même jusqu'à imaginer Ressources Humaines Inc., une académie des tueurs à gage, chargée de repérer des orphelins depuis l'enfance qu'elle pourra contrôler, une académie aux rouages complexes, capable de placer ses espions-tueurs à gages n'importe où et n'hésitant pas à sanctionner de mort ceux qui ratent un examen de passage !
Le style rapide et nerveux de Shane Kuhn, usant de l'ironie mordante qui caractérise la profession même de son personnage, permet de faire passer l'ensemble de l'intrigue et tous ses rebondissements de plus en plus abracadabradantesques (le tueur retrouve son père qu'il croyait mort, il lutte contre une armée de mercenaires dans un avion, etc.) jusqu'à la conclusion finale pour un récit qui ne se prend pas au sérieux, mais qui est narré sérieusement ce qui est une marque de politesse de la part de l'auteur. Entraîné dans le tourbillon, le lecteur se laisse emmener sans déplaisir au long des pages, pour un texte qui lui accorde quelques heures de détente dans ce monde de brutes.
Citation
Tu es le dernier maillon de la chaîne alimentaire, mais tu as une telle faculté d'adaptation que le petit père Darwin, il en aurait pissé dans son pantalon en tweed.