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Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Estelle Roudet
Paris : Calmann-Lévy, avril 2014
280 p. ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-7021-5379-6
Coll. "Robert Pépin présente"
L'odeur de la pourriture
Les regards se tournent en ce moment vers la Russie et ses démêlés ukrainiens. Mais attaque-t-on son voisin lorsqu'on est fort ou lorsque l'on sait que l'on risque de devenir faible ? C'est peut-être ce à quoi répond de manière détournée ce roman de Martin Cruz Smith.
Arkadi Renko est l'un des derniers policiers intègres de la Russie. Mis sur la touche par ses supérieurs, il peut gérer son temps comme il le veut, et décide donc d'enquêter sur le suicide de la journaliste Tatiana Petrovna. Comme nous sommes en Russie, rien n'est simple et il semble même que les autorités aient perdu le cadavre dans la morgue ! En tout cas, les premiers pas de ses investigations lui permettent de mettre la main sur un calepin contenant des données chiffrées très étranges. En même temps, Arkadi Renko surveille de près les pas de l'un des nouveaux patrons de la mafia locale, après la mort de son père, le milliardaire Grisha Grigorenko, dans des circonstances mouvementées. Tout va pousser à ce que les deux affaires se rejoignent.
Le texte est un roman de la décomposition : le policier enquête sans ordre et sans mission, son supérieur ne veut rien entendre, préférant ne pas troubler les nouveaux maîtres du pays en se contentant de jouer au golf. Au début du récit, une longue scène décrit une manifestation pour protester contre la mort de la journaliste réprimée par des factions extrémistes puis par la police. La décomposition est partout : le fils adoptif de Renko est si désespéré qu'il est prêt à s'engager dans l'armée, d'autres jeunes désœuvrés glandent sur les plages, regardant l'horizon d'un air morose. Le collègue de Renko traîne dans les rues et cache son désarroi dans des actions violentes ou noie sa vie dans l'alcool. Face à eux, les nouveaux riches se comportent comme s'ils étaient en territoires conquis : réunions pour se partager les marchés public, liaisons avec des gangsters pour organiser à leur guise les opérations commerciales et, bien entendu, corruption à tous les étages. Seuls quelques personnes âgées semblent encore croire à un futur possible. Du coup, la course-poursuite pour récupérer les données inscrites sur le calepin, permettant de comprendre le pourquoi de l'affaire, amènera une résolution mais sans grande portée : on connaît les coupables mais qui les jugera ? Qui même s'en préoccupera ? Arkadi Renko reste très en retrait et semble plus inquiet pour le futur de son fils que pour essayer de régler un problème qui de toute façon n'aura qu'une solution "virtuelle"...
La Suicidée est plus un roman d'atmosphère, une description désenchantée d'un monde décadent, moribond, d'un retour à l'état de jungle, comme si la pesanteur du système russe avait contaminé le style, laissant se désagréger des bouts d'intrigue dans un univers si perverti qu'il en devient à la limite du compréhensible, comme si le fatalisme russe était une réalité tangible, un peu à l'image des mines d'ambre qui traversent le texte : des minerais précieux et jolis dans lequel on peut distinguer les corps momifiés des insectes qui y furent pris au piège.
Citation
Le nombre de meurtres sur commande élucidés était de quatre pour cent. Comment pouvaient-ils encore revendiquer le nom de police ?