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De Franck Thilliez à San-Antonio : un lien nommé Maxime Gillio
Ce fut ma petite route de campagne abandonnée… Suivre ce lien m’a en effet conduite bien au-delà de "l’actu de Franck Thilliez". D’abord vers Maxime Gillio. D’investigations en recherches, j’ai découvert un véritable personnage, auteur de polars lui-même, spécialiste de San-Antonio et de l’œuvre des Dard père et fils, professeur de français à ses heures non perdues… De là un autre fil m’a appellé, vers l’Association des Amis de San-Antonio cette fois : Maxime Gillio est membre du bureau, et rédacteur en chef adjoint de la revue qu’elle publie, Le Monde de San-Antonio...
Cela méritait bien plus qu’une dépêche d’actualité... À la suite du premier courriel envoyé – qui demandait de simples précisions quant à l’émission devant être enregistrée avec Franck Thilliez – j’ai reçu très vite un message long et détaillé ; cela m’a incitée à développer mes questions, à laisser libre cours à ma curiosité... En retour, mon correspondant s’est montré d’une diligence rare, m’adressant ses réponses avec une rapidité confondante et dans un style mêlant adroitement la simplicité orale et la juste tenue nécessaire à l’écrit. Réponses toujours accompagnées de messages chaleureux qui paraissent sourire de tous leurs mots…
Oui, décidément, cela méritait bien plus qu’une dépêche...
© Peggy Halas
L’échange s’est donc amorcé à propos de cette "actu Franck Thilliez"...
k-libre : Quelle est donc cette émission dont vous rappelez l’enregistrement imminent (le vendredi 28 août) sur votre blog ?
Maxime Gillio : Il s’agit d'une émission de télé appelée "Café littéraire", que je présenterai et qui sera enregistrée en public pour être vraisemblablement diffusée en janvier 2010, sur les principales chaînes du littoral Nord. Elle pourra être consultée sur Internet, et nous essaierons, d'une manière ou d'une autre, d’en faciliter l’accès au plus grand nombre. Celle à laquelle Franck Thilliez participera est un pilote de 26 minutes, une interview divisée en trois parties qui seront, dans l’ordre : l’actualité de l’invité, son écriture et ses méthodes de travail, puis une dernière partie "carte blanche" où je me réserve le droit d'aborder les questions de mon choix avec l'invité (avec Franck Thilliez par exemple, le succès, le thème de la monstruosité, le clivage polars "classiques" / thrillers fantastiques…). Chacune de ces trois parties sera ponctuée par des questions du public, dans la plus grande spontanéité. Enfin, quelques "pastilles" assureront la transition (le coup de cœur de l'invité, la question "confessionnal", ainsi qu'un sketch enregistré d'une minute dans lequel un comédien nous dira – de façon très décalée – pourquoi il ne veut pas lire les romans de l'invité).
k-libre : Qui est l’initiateur de ce projet télévisuel ? Comment est-il né ?
Maxime Gillio : Après avoir animé quelques cafés littéraires (non filmés) dans cette même commune [Coudekerque-Branche – NdR], j'ai eu envie de toucher un public plus large. Comme mon actualité éditoriale m'avait amené à rencontrer de fort sympathiques journalistes et vidéastes locaux, j’ai recontacté l’un d’eux – Fabrice Jannekeyn, de l'ASTV pour ne pas le nommer – je lui ai parlé de mon projet, et voilà le travail (enfin, presque...). Nous ne recevons encore aucune subvention car, comme je vous l'ai dit, il s'agit d'un pilote. La municipalité de Coudekerque-Branche nous prête les locaux et un peu de matériel, pour le reste, c'est système D : cette émission est réalisée grâce à la bonne volonté de chacun et, même si tous les techniciens sont des professionnels de l'image (nous avons un chef op’, un script, etc.) ils prennent part au projet par amitié. Quant à moi, je n'ai aucune expérience de la télé, et me voilà présentateur... En tout cas, nous espérons bien que ce pilote servira de produit d'appel et qu'il nous permettra de recueillir subventions et/ou propositions de coproduction afin que "Café Littéraire" devienne une émission mensuelle susceptible d’être diffusée plus largement. Et je voudrais remercier tout particulièrement Franck Thilliez d'avoir accepté d'être le parrain, par amitié, de cette émission 0.
... avant de se poursuivre autour du parcours de Maxime Gillio, et du petit monde de San-Antonio/Frédéric Dard qui semble beaucoup compter pour lui...
k-libre : Pourriez-vous évoquer votre cheminement d’auteur ?
Maxime Gillio : Le cheminement est presque "accidentel", même si je baigne dans les livres depuis mon enfance (parents enseignants, études de lettres…). En revanche, je ne me suis jamais dit que j’allais écrire un jour. Mais en adhérant à l’association des Amis de San-Antonio, j’ai rencontré des passionnés et des écrivains qui lisaient les articles que je publiais dans la revue [Le Monde de San-Antonio, la revue trimestrielle de l’association – NdR]. Et un jour l’un d’eux – qui se reconnaîtra… – m’a lancé une injonction : "Qu’est-ce que tu attends ? Publie, nom de Dieu !" Comme c’est mon chef, je lui ai obéi. Et voilà le résultat. C’était presque par hasard au départ, mais je n’envisage plus qu’il en soit ainsi désormais.
k-libre : Des écrits autres que noirs ont-ils précédé vos romans ?
Maxime Gillio : Mon premier manuscrit ayant été accepté, il n’y a rien eu avant ceux qui sont actuellement disponibles.
k-libre : Votre passion pour l’œuvre de Frédéric Dard procède-t-elle d’un premier intérêt, plus général, pour la littérature noire ou bien est-ce le commissaire San-Antonio qui vous a conduit vers la littérature noire dans son ensemble ?
Maxime Gillio : C’est un peu plus complexe… Comme je vous l’ai dit, je suis lecteur depuis toujours. Un vrai boulimique. J’ai découvert San-Antonio assez tôt, vers onze ans, et au départ, je ne lisais que San-Antonio, pas les autres textes de Frédéric Dard. Et selon moi, San-A, ce n’est pas du roman noir. Plus tard, j’ai découvert les autres facettes de cet écrivain, mais à ce moment-là, j’avais déjà développé un goût pour le polar. Disons que les écrits de Frédéric Dard ont consolidé cette attirance. Je dois d’ailleurs reconnaître que, si l'œuvre "classique" de Frédéric Dard avait été ma seule initiatrice, je ne suis pas certain qu'elle m’aurait conduit vers le polar...
k-libre : Concernant votre engagement dans l’association des Amis de San-Antonio et dans la vie de la revue qu’elle publie, pourriez-vous nous en conter l’histoire ?
Maxime Gillio : Je vais essayer de faire court... En 1999, j’avais commencé un mémoire de DEA sur Frédéric Dard. Il est mort l’année suivante, et sa disparition a totalement fauché mon envie de continuer ce travail, même si je n’avais pas prévu de le lui montrer. Me retrouvant avec quelques pages d’étude écrites, j’ai tapé "San-Antonio" dans un moteur de recherche du Web et j’ai trouvé les coordonnées de cette association de frappadingues. J’ai cotisé, envoyé mes pages, et ce fut le début de l’engrenage. De collaborateur occasionnel, je suis devenu rédac'chef adjoint de la revue, en plus de mes fonctions au sein du bureau. Mais que ce soit là ou au comité de rédaction, mon crédo n’a jamais changé : je ne souhaite que parler des Dard père et fils, partager ma passion, et faire découvrir leurs œuvres au plus grand nombre.
k-libre : Pourriez-vous présenter cette association de frappadingues – ses buts, ses origines... – dont vous êtes, je crois, le secrétaire ?
Maxime Gillio : En réalité, je ne suis plus secrétaire depuis le mois de juin dernier. Je suis maintenant vice-président, ce qui est beaucoup plus tranquille comme fonction ! L’association a été créée en 1997, et ses buts peuvent se décrire dans des termes proches de ceux par lesquels j’ai défini mon credo : diffuser les romans de San-Antonio, les faire connaître, expliquer qui est ce personnage… Pour ce faire, il y a le magazine de la revue, un trimestriel de quarante pages dont la qualité est digne de n’importe quelle publication professionnelle – sans la publicité… –, les assemblées générales aux quatre coins de la France, des manifestations ponctuelles (par exemple une exposition des originaux de François Boucq, un colloque à la Sorbonne en 2010, etc.)… Nous nous adressons à un très large public – collectionneurs, lecteurs occasionnels, exégètes, néophytes… et notre association compte aujourd’hui environ 280 membres, dont certains en Russie ou aux États-Unis. Toutes les couches sociales et tous les âges sont représentés.
k-libre : Vous publiez sur votre blog des notes de lecture, vous espérez pouvoir animer un café littéraire télévisuel et y inviter de nombreux auteurs… Il semble que vous vous perceviez comme un passeur de l’œuvre d’autrui ; vous êtes vous-même auteur – comment ces deux phases de votre activité littéraire s’articulent-elles ?
Maxime Gillio : Assez naturellement. Il me semble que lorsqu’on veut être auteur, il faut d’abord être lecteur. Or lecteur, je l’ai toujours été et continue à l’être. Et j’apprécie – est-ce dû à ma formation de prof ? – l’exercice de la critique, à ma façon : intuitive, parfois décalée (d’ailleurs, j’en profite pour passer une annonce : si quelqu’un cherche un pigiste pour des critiques ou des billets, je suis preneur !...). Je ne pense absolument pas que le fait d’écrire moi-même me donne plus de légitimité à analyser ou critiquer, pas du tout… mais le temps que j’accorde à mes notes de lecture sera moins important si je suis en phase d’écriture, c’est évident. Je suis assez étonné des retours que je peux avoir sur ces notes. Je pensais qu’elles n’intéressaient que moi. Mais dans les salons, des visiteurs me disent qu’ils viennent les lire, et j’ai même eu un message d’un auteur qui me remerciait pour ma critique. Heureusement, j’avais beaucoup aimé son livre… De toute façon, comme je n’ai pas le temps de chroniquer tout ce que je lis, et que c’est du bénévolat, je ne critique que si j’ai aimé ou détesté. Je ne critique pas lorsque je suis tiède ou, autre cas de figure, quand je connais les auteurs – histoire d’éviter les rancœurs ou les non-dits gênants. Enfin, j’aime beaucoup les contraintes formelles. Pour certaines notices que j’ai pu rédiger, on me disait : "Tu as 500 ou 1500 signes, pas un de plus." Ça bloque certains, moi ça m’excite !
k-libre : Vous êtes également professeur de français. Est-ce pour vous une position privilégiée pour faire connaître à vos élèves un type de littérature qui n’est pas forcément aux meilleures places dans les programmes scolaires ?
Maxime Gillio : Pas vraiment car je suis enseignant en collège, donc avec un public assez jeune. Si j’étais en lycée, je pense que j’aurais davantage de libertés.
k-libre : Comment voyez-vous, en tant qu’enseignant, les rapports entre la littérature policière et/ou noire, et les recommandations officielles du ministère de l’Éducation ? Ceux-là ont-ils évolué depuis que vous enseignez ?
Maxime Gillio : Oui, bien sûr, mais on n’accorde pas plus de place à la littérature policière dans les instructions. Cela dit, les programmes évoluent très lentement, beaucoup plus lentement que la littérature elle-même, ce qui est logique. Et n’oublions pas qu’il y a à peine quelques décennies, on ne parlait que de "littérature de gare" ou de "paralittérature " dans les manuels ou à l’université. C’est un sacré handicap…
k-libre : À propos de vos romans, maintenant… Aviez-vous dès le premier le projet d’une suite romanesque avec héros récurrents ?
Maxime Gillio : J’aime le principe des séries, donc oui, dans un coin de ma tête, ce principe-là m’intéressait. Mais franchement, lorsqu’on écrit son premier roman, la question qu’on se pose n’est pas de savoir si on va en faire une série, mais plutôt de savoir si on va réussir à finir – et à publier – cette première histoire. Maintenant, j’aime tellement les personnages récurrents que je viens d’écrire le premier tome d’une nouvelle série, dans une veine complètement différente cette fois puisque parodique et humoristique. Mais toujours guidé par cette idée de fidéliser le lecteur avec des personnages récurrents.
k-libre : Pourquoi avoir créé d'emblée un duo d’enquêteurs ?
Maxime Gillio : Par facilité. Je ne savais si ça allait marcher donc j’ai fait "classique". Mais dès le deuxième tome, j’ai étoffé en créant de nouveaux personnages amenés à revenir. Il n’y a plus seulement mes deux flics principaux, ils font partie d’une brigade plus complexe.
k-libre : Quels sont vos auteurs de référence ?
Maxime Gillio : San-Antonio, bien sûr, mais aussi Céline, Cavanna, Joe Lansdale, Dennis Lehane – j’adore Dennis Lehane. Ses romans sont pour moi de véritables bijoux mais, parmi eux, j'ai une nette préférence pour ses cinq titres avec Gennaro et McKenzie. Quand j’ai appris qu’il allait les reprendre, j’étais fou de joie ! J’aime beaucoup aussi l’écriture d’un Philippe Delepierre ou la démarche et l’univers de Didier Daeninckx. Après, je fonctionne davantage à l’œuvre. Ainsi, certains titres de Fred Vargas sont pour moi totalement jubilatoires tandis que d’autres me tombent presque des mains. Pareil pour Stephen King ou d’autres "monstres". Je préfère parler d’un titre que d’un auteur. Sauf pour les premiers cités.
k-libre : Quelles sont les amorces qui initient vos envies d’écrire ? Êtes-vous un constructeur à la méthode très stricte – plan préalable, fiches de personnages, repères topographiques, recherche de documentation, etc. – ou bien fonctionnez-vous davantage à l’instinct pour ne vous fier qu’au fil de la plume ?
Maxime Gillio : Je suis définitivement un constructeur, c’est presque pathologique. Un projet est initié de façon très variable ; ce peut être par un article, un thème, un lieu, ou parfois un titre… En revanche, dès que je me suis décidé, il me faut un séquencier très poussé. C’est sans doute un manque de confiance en moi, mais c’est ainsi. La documentation, les repérages, ça me gonfle un peu, même si c’est nécessaire (je suis un fainéant contrarié), mais la structure et le synopsis, alors là, c’est primordial. J’admire ceux qui écrivent sans connaître la fin. N’oublions pas qu’on parle de polar, donc d’une mécanique avec quand même des règles et des obligations. Mais pour être franc, il m’arrive parfois de lire des romans dont je sens que l’auteur ne sait pas où il va ou tente de retomber sur ses pattes, et là, ça m’énerve ! Écrire en se laissant bercer par l’inspiration, très bien, j’admire – j’en serais incapable. Mais il ne faut pas que ça se voie.
k-libre : Avez-vous tendance à remettre cent fois le texte sur le métier avant de l’estimer bon à envoyer à l’éditeur ?
Maxime Gillio : Oui,De plus en plus. Le fait d’être publié, donc lu, m’oblige à essayer de faire toujours mieux, de gommer les nombreux défauts du livre qui a précédé, tout en sachant qu’il restera encore trop de scories. Plus j’écris, et plus je deviens exigeant, voire maniaque. Avant, une ou deux relectures, et hop, j’envoyais. Maintenant, le temps de correction représente presque un quart de celui que j’ai consacré à l’écriture.
k-libre : Avez-vous besoin de prendre beaucoup de temps entre deux romans pour pouvoir commencer un nouvel opus ?
Maxime Gillio : Non, pas nécessairement. Le problème est que j’ai toujours plein d’idées et plein de projets : dès que j’ai fini, je commence autre chose…. Enfin, quand la vie de famille, le boulot de prof et l’association m’en laissent le temps !
k-libre : Avez-vous, en ce moment, à part le café littéraire télévisé, des projets dont vous pourriez parler – par exemple l’ossature d’un prochain roman, ou bien un gros événement regardant San-Antonio ?
Maxime Gillio : Sur San-Antonio, il y a ce colloque à la Sorbonne dont je vous ai parlé qui aura lieu en mars 2010. Je dois écrire ma communication avant janvier et je n’ai pas encore commencé. Le premier tome de cette nouvelle série évoquée plus haut devrait être publié bientôt – du moins j’espère ! Sinon, je viens juste de commencer un nouveau roman qui se passe en Belgique, dans le milieu de la peinture. Dès qu’il sera fini et que le colloque sera passé, j’attaquerai le tome 4 des enquêtes de Dacié et Marquet.
Liens : Maxime Gillio | Franck Thilliez | Les Amis de San-Antonio Propos recueillis par Isabelle Roche