Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Bondil, Johanne Le Ray
Paris : Rivages, juin 2014
366 p. ; 17 x 11 cm
ISBN 978-2-7436-2833-8
Coll. "Noir", 963
Nid d'espions
Les digressions des personnages hallucinants des romans de Elmore Leonard ne peuvent aboutir qu'à des instants de lecture hallucinés. Hitler's Day (pour peu que l'on lise le roman dans le métro ou un train, on n'échappera pas à certains regards suspicieux) confirme cette aptitude chère au grand romancier avec en plus un foisonnement de personnages. Ici, avec une intrigue à la fois amusante et effarante, il prend plaisir à plonger son lecteur dans une ville de Detroit en pleine Seconde Guerre mondiale où vont se retrouver des personnages hauts en couleur aux ambitions et aux motivations exagérément disparates. Un nid d'espions nazis est sous la surveillance conjointe du FBI et d'un marshall as de la gâchette à la poursuite de deux Allemands évadés d'un camp de prisonniers. L'un d'eux est un pur SS qui va finir ses jours amoureux à traduire du Bertold Brecht (une incongruité romanesque puisque l'homme de théâtre allemand, d'origine juive, a été contraint de quitter l'Allemagne nazie). L'autre, Jürgen Schrenk, a conduit des Tigre dans l'Afrika Korps de Rommel et entend bien finir ses jours à monter des taureaux dans des rodéos. Walter, un immigré de deuxième génération, est le sosie vraiment craché d'Heinrich Himmler. De plus, il est né le même jour à la même heure dans le même hôpital. Walter, un boucher, est le maillon (faible) entre les espions, le FBI, le marshall par son ex-femme Honey, une fausse blonde (ça a son importance), qui va mettre son grain de sel en se dénudant ici et là avec désinvolture. Walter est suspecté de cacher les prisonniers dans une ferme. Mais Walter a aussi un plan qui va l'amener à la postérité : il va tuer le président américain Roosevelt le jour de l'anniversaire de Hitler. Un cadeau d'adieu puisqu'il envisage de jouer les kamikazes aux commandes d'un Cessna. L'histoire ne va pas exactement se dérouler selon ses plans ne serait-ce que parce que Roosevelt va avoir une attaque cérébrale... Et puis il y a Carl Webster.
Le personnage de Carl Webster, marshall aguerri, fait ici une deuxième apparition après Le Kid de l'Oklahoma. Désarçonné par cette belle plante de Honey (surtout qu'il est marié à une femme qui apprend aux soldats américains à manier des armes vraiment très lourdes), en bute à sa conscience professionnelle qui se confronte à son amitié pour Jürgen, il mène son enquête avec assiduité mais peu de rigueur. D'ailleurs, le tueur d'Odessa va manquer d'un cheveu lui faire la peau d'un tir de mitraillette. L'ensemble prend joliment forme, les histoires des uns et des autres s'alternent en des chapitres rythmés. L'écriture déliée et fluide de Elmore Leonard est sans cesse rehaussée par cette culture tant musicale, sociologique que littéraire ou sportive qui est disséminée et qui permet à la jungle urbaine de Detroit de prendre forme et corps. D'ailleurs, on se surprend à penser que l'on ne lit que des dialogues tant l'on se fond dans le décor. Hitler's Day est un bon roman à l'humour caustique et à la vacuité de sa conclusion comme si cette guerre était absurde. Du bel art.
Citation
Elle leva le bras droit et fit un salut nazi, afin de montrer qu'elle était venue avec des intentions pacifiques, sans la moindre volonté de semer la discorde, et elle dit :
- Sieg Heil, vous tous. Je m'appelle Honey Deal.