Dragon bleu, tigre blanc

Deux hommes en noir firent un pas de côté, révélant les instruments de torture alignés sur le mur : un masque de fer dont la face intérieure était pourvue de clous, des brodequins de métal pour briser les jambes, des pinces de toutes tailles, des écraseurs de tête, des scies à amputer, des élargisseurs de narines, des poires d'étouffement et des trancheurs de langue. Dans un filet pendu au plafond se trouvait un arsenal de vis pour broyer doigts et orteils.
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Roman - Policier

Dragon bleu, tigre blanc

Ethnologique - Politique - Corruption MAJ jeudi 11 septembre 2014

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 19 €

Qiu Xiaolong
Shanghai Redemption - 2013
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Adélaïde Pralon
Paris : Liana Levi, mars 2014
290 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-86746-717-2
Coll. "Policier"

Bleu, Blanc et noir

Ces dernières années, les policiers des séries se voyaient, selon une tradition établie par Conan Doyle avec son détective Sherlock Holmes (avec l'insuccès que l'on connait et sa résurrection forcée), mourir durant leurs taches. L'inspecteur Chen, lui, travaille à Shanghai. Enfin, il croit qu'il va travailler car le roman s'ouvre avec sa nomination à un nouveau poste honorifique, un placard doré. Avant de quitter son poste, il essaye de passer les affaires en cours à son adjoint, mais à peine cette passation est-elle entamée qu'il est victime d'un coup fourré qui pourrait mettre un terme à sa carrière, et que l'ombre de la mort plane sur tout le roman, s'abattant autour de lui avec une régularité concentrique inquiétante. Alors Chen, sous prétexte de s'occuper de la tombe de son père, se replie à la campagne et réfléchit aux raisons qui expliqueraient cette disgrâce soudaine.
Ainsi, paradoxe d'un système fermé et totalitaire qui n'ose pas dire son nom, l'enquête ne porte pas sur des crimes réels et visibles, mais sur qui - en tant que coupable - a les moyens d'empêcher la police de faire son boulot correctement. Le problème c'est aussi que Chen travaille sur de nombreuses affaires et que toutes peuvent s'avérer sensibles : un cadre, fusible de ses supérieurs, a disparu ; des cochons morts baignent dans le fleuve ; un Américain est retrouvé mort dans une boite de nuit...
L'auteur mène donc son enquête comme l'on pratiquerait le billard français avec l'aide d'adjoints ou d'amis retraités qui vont faire le boulot à la place de son héros. Il concentre notre attention sur les précautions du policier pour éviter de se faire remarquer, pour soulever les lièvres sans aboyer après le gibier. Par un style épuré, par l'introduction de poèmes, par des références subtiles, Qiu Xiaolong montre que cette société ne dit jamais rien mais explicite les sous-entendus qui règnent en maître. Par exemple, à un moment donné, le policier et son supérieur échangent une conversation par internet. Tous deux savent qu'ils sont écoutés et un dialogue de sourds s'engage, dont le lecteur perçoit tout le sel.
Par delà l'enquête, ce sont toutes les contradictions du régime qui se manifestent : les plus corrompus décident de relancer la révolution culturelle et d'installer dans toutes les salles de karaoké des chants révolutionnaires. Les night-clubs avec salles de prostitution sont interdits, mais les épouses de dignitaires y chantent et les policiers y viennent pour dédicacer leurs anthologies poétiques.
Derrière l'enquête, en quelques coups de pinceaux, c'est tout un univers sociologique, une description fine de cette Chine qui s'est éveillée pour le malheur de ses fils, un inspecteur de plus en plus coincé dans sa volonté de justice car lutter contre le crime c'est une chose, lutter contre le système criminel érigé en valeur et possédant le pouvoir c'est autre chose. Comme souvent le roman noir en dit autant qu'un long traité historique.

Citation

Sans son poste, sa survie au sein du système semblait compromise. Les eaux de la politique chinoise étaient peut-être trop profondes pour lui.

Rédacteur: Laurent Greusard jeudi 28 août 2014
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