Contenu
La Chute d'un ange
Grand format
Inédit
Tout public
Crélard, crevure
Didier Daeninckx-Mako : le duo est particulièrement bien rôdé et le second met tout aussi particulièrement bien en images le scénario du premier. Dans cette bande dessinée de jolie facture malgré une intrigue classique noir opaque comme les arcanes du pouvoir, le romancier français que l'on connait très inspiré lorsqu'il est question de l'héritage des conflits - Première et Deuxième Guerres mondiales, guerres coloniales sans parler de celle d'Algérie -, continue dans une veine dérangeante et qui a son charme. Nous sommes en avril 1948 dans la commune de Gagny, au cœur d'un orphelinat. Il faut dire que le débarquement et surtout sa préparation à coups de bombardements sur les villes côtières et principalement Caen a amené son lot d'enfants sans famille. Le corps d'un garçon de treize ans est retrouvé au fond d'une excavation. Mais l'enfant fugueur a aussi été brutalement martyrisé. Un commissaire et un inspecteur sont sur les lieux de l'enquête après l'arrestation de l'Étrangleur. Le soir, Crélard, une vraie crevure, directeur de Paris-Soir, un quotidien bien informé qui tire à un million d'exemplaire, est retrouvé mort étranglé, la tempe fracassée à coups de talon dans son appartement parisien au pied d'un coffre ouvert. Sa femme ivre morte dort dans une chambre à côté. L'enquête mène les deux hommes de loi sur les traces d'un contorsionniste qui officie au cinéma Le Lux, et le juge mène ce fils d'immigré tout droit à la veuve.
L'histoire pourrait s'arrêter là mais ce serait oublier que Didier Daeninckx ne nous a pas habitué à des intrigues simples. L'ombre de la Seconde Guerre mondiale plane du début à la fin, et elle s'accompagne de la sacro-sainte raison d'État. L'homme de presse a réussi à se forger une identité de résistant qui souffre beaucoup de contestations eu égard à son passé de collaborateur dans un journal pro-nazi que se targuait d'être communiste. Il a tissé des liens avec des hommes politiques et a un réseau d'indicateurs au sein de la police. Bref : il sait beaucoup de choses et il dérange beaucoup de monde. La police n'est pas en reste avec son passé trouble aux ordres de Vichy. L'éternel débat sur le fonctionnaire qui doit ou non obéir. Surtout, il y a deux flics diamétralement opposés. L'un croit en la justice et en la vérité, il est plutôt jeune et l'on devine qu'il n'a pas officié sous la guerre, l'autre l'a vécue, cette guerre, et en a tiré parti. Aux ordres du nouveau pouvoir, ce dernier est une espèce de nettoyeur d'ordures, ordurier de son espèce, qui n'hésite pas à sacrifier ceux qui le dérangent, qu'ils soient influent, indic ou flic. Le trait de Mako vient assortir une intrigue que le dessinateur parsème de cases souvent sombres, quelques fois claires. Il dépeint brillamment le Paris nocturne et interlope. Il met son trait au service de la plume acide et caustique du romancier. Il faut dire qu'il y a là quelques incisions rondement amenées. Et puis Mako a le soin du détail avec ces petits signes qui ancrent l'amateur de bandes dessinées dans une réalité historique. Le lecteur aura le fin mot de l'histoire, l'innocent aussi, mais pour les autres, ceux qui lisent une presse dépendante qui offre l'Histoire montée de toutes pièces, c'est une autre histoire...
Citation
- Et ces obsèques, commissaire ?
- Grandioses, Fauvier... Le Président de la République, celui du Conseil, des ministres, les généraux, évêques, tous là pour soutenir la veuve... Et comme tous les hommes d'importance, il a été enseveli avec son cortège de qualités. Pas le poids d'un défaut dans le cercueil... Un ange !