Meursault, contre enquête

Un visage apparait devant moi. Les yeux sont écarquillés par l'incompréhension. La bouche est tremblante, inquiète. Une main se tend pour vérifier mon pouls et j'entends un soupir de soulagement.
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Roman - Noir

Meursault, contre enquête

Social - Enquête littéraire - Assassinat MAJ lundi 29 septembre 2014

Un soleil dans une boîte

À l'été 1942 en Algérie, un dimanche sur les coups de midi, sous une chaleur caniculaire, Meursault tue un Arabe de plusieurs coups de revolver. De cet Arabe, on ne sait que très peu de choses si ce n'est qu'il faisait partie d'un groupe mené par l'amant de la femme d'une relation de Meursault. Mais L'Étranger, d'Albert Camus, va s'attarder dans une seconde partie au procès de Meursault, et va surtout mettre en avant la condamnation d'un homme non pas pour ce meurtre commis de sang-chaud sans préméditation, mais parce qu'il n'a pas pleuré à l'enterrement de sa mère au début du roman. Et l'Arabe va passer au second plan sans même être nommé.

Dans ce très beau Meursault, contre-enquête, l'Algérien Kamel Daoud redonne corps à cet Arabe par le truchement de son frère qui a vécu dans l'ombre d'un mort sous la protection malsaine d'une mère détruite et tourmentée. Le frère de l'Arabe harangue dès les premières pages le lecteur, Meursault et l'écrivain afin de raconter ce qu'il a (mal) vécu et comment tout cela a bouleversé sa vie allant même jusqu'à influencer certains actes criminels (ou pas) au parallèle troublant. C'est ainsi que si Meursaul tue l'Arabe à la mi-journée d'un été 1942 en pleine Seconde Guerre mondiale, le frère de l'Arabe tuera un Français en pleine nuit, vingt ans après, en pleine guerre d'indépendance, et qu'il manquera d'être jugé pour avoir tué au plus mauvais moment. Là encore, les causes reprochées ne seront pas les bonnes.

Mais réduire ce roman à ce parallèle serait hautement réducteur. Le frère de l'Arabe se raconte au crépuscule de sa vie. L'auteur pose la question primordiale du comment survivre à un drame (ici absurde) tout en faisant son deuil et en apprenant à exister. Ce n'est pas le frère de l'Arabe qui fait la contre-enquête, mais Meriem, une jeune femme de Constantine, libre et affranchie, qui fuit un père polygame au regard concupiscent. C'est elle qui se présente bien des années après au domicile maternel. C'est elle qui apporte le roman de l'écrivain célèbre au frère de l'Arabe. C'est elle qui soulève chez lui la passion et qui entretient une relation platonique qui le conduit à l'attendre parfois en vain à la sortie d'un bus. De sa lecture, le frère de l'Arabe retiendra principalement que l'Arabe est cité vingt-cinq fois sans qu'il soit expressément nommé. Dédain ultime qui fait qu'on ne lui porte pas non seulement attention, mais qu'on se refuse à lui donner corps et âmes.

De ce tourment nait toute une histoire, toute une vie, déclinée avec une écriture fluide, envoûtante. Un long monologue qui hésite entre calme et excitation. Le frère de l'Arabe partage avec le personnage de Raskolnikov dans Crime et Châtiment, de Dostoïevski, cette fièvre endiablée, reflet des Hommes entiers en proie aux affres de la société qui en réaction créent leur propre mystique. Rapprocher Raskonokiov et Meursault est donc tout sauf anodin. Les deux commettent un crime gratuit qui aura de sinistres conséquences sur eux et leur entourage. Et eux sont tout sauf de mauvais bougres, leur absence d'idéal (ou la vacuité de leur idéal) pourrait même les rapprocher. Le roman de Kamel Daoud, lui, est une ode fraternelle, pacifique, qui s'entête à rendre compréhensible l'incompréhensible avec même un regard posé religieusement sur la Religion qui ne peut apporter certaines réponses. Pour un premier roman, c'est une réussite qui approche la perfection. Souhaitons que Kamel Daoud perpétue lui aussi son "Cycle de l'absurde".

Récompenses :
Liste Goncourt : le choix de l'Orient 2014

Nominations :
Prix Joseph Kessel-SCAM 2015

Citation

Et bien sûr, le soir même, j'ai entamé ce livre maudit. J'avançais lentement dans ma lecture, mais j'étais comme envoûté. Je me suis senti tout à la fois insulté et révélé à moi-même. Une nuit entière à lire comme si je lisais le livre de Dieu lui-même, le cœur battant, prêt à suffoquer. Ce fut une véritable commotion.

Rédacteur: Julien Védrenne lundi 29 septembre 2014
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