Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais (Irlande) par Patrick Raynal
Paris : Points, janvier 2014
278 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-7578-3031-4
Coll. "Policier", 3166
Abattoir sanglant
Nous sommes dans l'organique, dans le rapport confus que nous avons au sang et à la violence, symbolisé de sa manière la plus quotidienne : la viande, la bête que nous sommes et que nous mangeons. Alors quoi de plus symptomatique que l'abattoir ? Paul Goodman le bien nommé vient y chercher un travail, un travail présenté comme le seul moyen de survivre et de vivre en seigneur dans la région, mais aussi d'avoir un steak. Un travail qui se mérite car le bizutage y est rude : il est jeté dans une cuve emplie de sang et où il faut surnager. Mais nous sommes également dans un monde organique où l'usurier se prend d'affection pour vous mais doit soigner sa femme qui répand ses urines dans la chambre et libère ses instincts dans les draps, où le simple besoin naturel vous pousse à devenir le témoin d'un crime, où chacun doit prouver son innocence en étant torturé au sang. Un univers organique clos, comme la tanière d'un ogre, d'un Gilles de Rais ou d'un Barbe-Bleue. Shank, le maître des lieux, est une force de la nature flanquée de ses deux filles, sans doute, le dernier employeur d'une région sinistrée où l'on rêve de s'en sortir en devenant champion de snooker. Shank a donc deux filles : l'une belle et vénéneuse, aussi trouble que son père et la seconde, Geordie, est une handicapée qui se bat pour être considérée. Un roman noir ou un conte de fées se déroule de la même façon : Paul est une sorte de chevalier venu ouvrir les portes fermées de l'abattoir, apporter de l'air frais (on n'ose pas dire du sang frais) dans ce royaume sanglant et pourrissant, aérer les remugles carnés. Paul tombe amoureux de Geordie tandis que son meilleur ami surprend un crime commis par Shank. Il y a trop de sang, trop de morts (y compris le père de Paul, décédé vingt ans plus tôt pour avoir trahi l'IRA), trop de pourriture dans le royaume pour envisager que les choses ne se calment et se dénouent pacifiquement. En psychanalyse, il faut tuer le père, en révolution, il faut tuer le patron. En Irlande, il y a trop de cadavres dans les placards, trop d'animaux sacrifiés dans les abattoirs pour espérer que les événements s'apaisent avec des fleurs offertes. Dans Le Boucher, un ancien film de Claude Chabrol, Jean Yanne offre à son amoureuse un jambon ou un gigot. Ici, l'abattoir et ses règles mortifères - même si le sang est aussi synonyme de vie - sont une parabole de la condition humaine : une boucherie universelle où il faut bien tremper les mains pour y rechercher la perle. Un bain de sang poisseux qui nettoie comme une eau de baptême, et qui donne au roman de l'Irlandais Sam Millar un tout autre relief...
Citation
Le tabac avait un goût passé, pourri. Tout semblait avoir le même goût de pourriture, ces temps-ci.