Toutes les vagues de l'océan

La rage, la soif de sang et les trous noirs alcooliques devinrent la seule forme de sérénité que je connusse [...] Je suis resté nombre d'années imbibé : j'ai obtenu un diplôme en auto-immolation et un doctorat en psychose chimiquement induite.
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Roman - Noir

Toutes les vagues de l'océan

Politique - Historique MAJ jeudi 05 février 2015

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 23,8 €

Victor del Árbol
Un million de gotas - 2014
Traduit de l'espagnol par Claude Bleton
Arles : Actes Sud, février 2015
640 p. ; 25 x 15 cm
ISBN 978-2-330-04344-5
Coll. "Actes Noirs"

Héros au sourire torve

Au début du XXe siècle, les avenirs étaient ouverts et tous les futurs possibles. Les Espagnols commençaient à entrer dans le monde moderne : le roi était parti, la République cherchait ses marques et l'Union soviétique exportait le mythe d'un avenir radieux. C'est dans cet environnement qu'apparait Gil, un ingénieur qui entend participer à cet espoir, mais qui très vite déchante lorsqu'il rencontre en U.R.S.S. des hommes et des femmes qui vont avoir une influence sur lui et sa famille.
De nos jours dans une Espagne contemporaine, Gonzalo Gil, fils de ce héros communiste, est un avocat qui tente de résister aux sirènes du libéralisme en croyant encore profondément à son métier. Il y a quelques années, son père a disparu sans laisser de traces, et l'on soupçonne la police politique espagnole d'y être pour quelque chose. L'ombre portée des Alcazar, une famille de policiers, franquistes liés à son beau-père, un influent avocat aux nombreuses affaires louches, touche la vie de Gonzalo Gil. Surtout que sa sœur se suicide - policière, sous les ordres d'Alcazar, elle aurait torturé un mafieux russe responsable de la mort de son fils.
Gonzalo Gil a lui aussi des rêves et des espoirs. Certes ce ne sont pas ceux d'un futur harmonieux pour l'humanité, mais des envies simples comme rester digne, fier de soi ou encore aider sa famille. La mort de sa sœur est l'occasion de "tester ses rêves", et la façon de les confronter à la réalité. Au cours du récit revient sans arrêt la parabole de la petite goutte qui ne peut rien faire seule mais qui est quand même celle qui va initier le premier effritement de la falaise.
Toutes les vagues de l'océan ne se réduit pas à présenter quelques personnages symboliques des périodes historiques, mais dessine des portraits justes et touchants d'une humanité complexe : un enfant-soldat noir, Gonzalo, une voisine qui lit de la poésie russe, une brute russe, une femme battue, un policier désemparé, un homosexuel honteux, comme autant de diamants bruts cachés dans la gangue des événements noirs. En même temps, il oblige à se souvenir de tous ces camps que l'horreur d'Auschwitz a masqué : ceux des franquistes ou des communistes espagnols, ceux de l'U.R.S.S. stalinienne, ceux qui accueillirent en France les réfugiés vaincus de la guerre d'Espagne, ceux qui, aujourd'hui, parsèment l'Afrique.
Le récit est volumineux, demandant une attention soutenue par le jeu des correspondances entre les périodes et les familles. Peut-être aurait-il pu gagner à s'alléger un peu mais comment faire lorsque l'on brasse un récit qui retrace le XXe siècle à travers le destin des Espagnols ? Espoirs républicains, guerre civile entre démocrates et fascistes, entre alliés de gauche qui doivent à la fois se méfier des ennemis visibles mais également des purges dans leur propre camp ; contradictions vivantes et vivaces entre le choix politique altruiste, ses propres désirs humains, les trahisons envers son camp pour obtenir un avantage, et sans doute, le pire : la trahison de ses propres convictions ? Gil, le grand-père, le père et également le fils (qui a commis un crime mais que l'on pourrait innocenter car dans une famille d'avocats on sait contourner la loi) vont se retrouver face à des choix cornéliens qui les engagent individuellement mais sont, en même temps, les reflets des choix des sociétés du monde moderne.


On en parle : Lire n°434

Citation

Il aimait qu'on le vouvoie ; même s'il était noir et sans-papiers, ses vêtements de luxe et ses lunettes de soleil de marque le rendaient tout de suite plus blanc.

Rédacteur: Laurent Greusard mercredi 04 février 2015
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