Spéculations sur la mort d'un artiste

L'accusation aura une explication très simple : le goûteur officiel de palais n'est pas mort parce qu'il savait que le plat était empoisonné et qu'il a seulement fait semblant de le goûter. Et les jurés élèveront cette hypothèse au rang de certitude.
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Roman - Policier

Spéculations sur la mort d'un artiste

Disparition - Complot - Artistique MAJ vendredi 20 février 2015

Note accordée au livre: 4 sur 5

Grand format
Inédit

Tout public

Prix: 21 €

Henri Bonetti
Paris : Cohen & Cohen, février 2015
280 p. ; 21 x 15 cm
ISBN 978-2-36749-023-6
Coll. "ArtNoir"

Et voilà le tableau !

Excellent roman que ce nouveau titre d'un ex-cadre bancaire qui, dans cette originale collection qu'est "ArtNoir", parvient à travailler sur les multiples facettes de l'art contemporain : celles de l'inspiration bien sûr, mais aussi et surtout celles des accointances avec le marché. Henri Bonetti, dans son premier titre L'Odeur du ciel, nous avait livré la biographie tragique d'un artiste imbibé et inspiré basée librement sur celle de Nicolas de Staël. Ici, il invente un nouvel artiste, Samir Ben M'Barek dit El Meskini où se distinguent des éléments de Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, (tous deux morts jeunes), et de Abdel Abdessemed, poulain découvert par François Pinault et dont la statue de Zidane lors de son fameux coup de tête est l'œuvre la plus connue. Art et argent vont de pair, et Henri Bonetti a visiblement les capacités pour nous monter de bonnes histoires : on espère un roman sur l'emprise de la banque suisse HSBC sur Art Basel Miami !
Mais revenons au titre présent : "une histoire d'art, d'oubli, de fric, de pouvoir et de violence" nous dit avec justesse la quatrième de couverture. Sitôt connue la mort d'El Meskini, ancien rappeur du groupe Antikeuf, la cote de l'artiste monte en flèche, entretenue en sous-main par l'auteur de son catalogue raisonné qui écrit, sous pseudos, des articles élogieux dans les différentes revues d'art. Cet auteur fournit aussi les œuvres d'El Meskini à un millionnaire (un cocktail de Pinault et Arnault) qui entend bien obtenir un retour sur investissement. Ajoutons à cela deux galeristes et un détective privé chargé par l'un d'eux d'enquêter sur trois tableaux authentiques, ignorés du catalogue raisonné, et sortis d'une cave du 9-3.
Malgré un premier chapitre un peu convenu dans le genre bande-annonce du non happy end, le lecteur est emporté rapidement par la maestria de Henri Bonetti, qui jongle avec les styles tout en conduisant une redoutable progression de dramaturgie. Alors que la multitude des points de vue avec divers narrateurs personnages est devenue la tarte à la crème des sagas américaines et des petits romans français, l'auteur, ici, se montre particulièrement compétent pour gérer sa construction. Alternent en soixante-cinq chapitres le récit, parfait de ton, du détective privé, Samuel Deslauriers, des articles de journaux, des rapports de police, des échanges de mails, des monologues avec la mère de l'artiste, des interviews, des échanges téléphoniques de l'ex femme du détective et le récit à la troisième personne de l'installation d'un mystérieux artiste dans un village perdu corse. Avec le fil conducteur des transactions (occultes et publiques) des œuvres, tout ceci constitue une intrigue exaltante. Pivot du roman, le détective privé rend compte de ses inexorables progrès vers l'inconcevable vérité.
Henri Bonetti aime dissimuler ses personnages sous de multiples identités. Ainsi l'artiste a-t-il deux noms, puis trois, avec un diminutif, Samy, qui est d'ailleurs le même que celui du détective privé. Les communications téléphoniques se font sous anonymat ou un autre nom. Le détective privé va prendre, à un moment, le nom de l'artiste... Bref, ce feu d'artifices peut apparaître parfois comme surfait et difficile à suivre, mais il oblige aussi le lecteur à rester toujours vigilant, ce qui, dans le cadre d'une enquête est quand même bienvenu !
Même si le titre est sans doute trop clair par rapport à l'intrigue et même si l'auteur nous donne assez rapidement la clé de la magouille centrale, on reste fasciné par l'aisance de l'écrivain dans ces multiples langages, dans la construction rigoureuse et riche de son intrigue avec, et c'est jouissif, des petites énigmes à décrypter comme celles gribouillées par l'une des nombreuses victimes. Mais c'est le ton général, l'ambiance, la désespérance et le froid calcul dans l'ombre qui l'emportent faisant de ce roman certainement l'un des meilleurs de la collection "ArtNoir" de Cohen & Cohen.

Citation

Si je peux me permettre ce trait d'humour pour finir, l'idéal serait d'avoir dans son portefeuille un nombre important d'œuvres d'un jeune artiste, achetées à bas prix, et d'être certain qu'il mourra dans très peu d'années.

Rédacteur: Michel Amelin vendredi 20 février 2015
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