Contenu
Les 3 crimes de West Memphis
Grand format
Inédit
Public connaisseur
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Thierry Cruvellier
Paris : Archipel, février 2015
394 p. ; 24 x 16 cm
ISBN 978-2-8098-1617-4
Nœuds de l'intrigue
Bien qu'il y ait un flash code en quatrième de couverture pour voir la bande annonce du film qu'Atom Egoyan a tiré de ce livre, avec Colin Firth et Reese Witherspoon, force est de constater que ce film, sorti en France en 2014, ne l'a été qu'en DVD. L'Archipel ne compte donc pas sur une exploitation parallèle au cinéma. Le livre de Mara Leveritt prend donc une place primordiale pour la connaissance de cette affaire par le public français.
C'est l'histoire d'un fait divers sordide : dans une ville moyenne de l'Arkansas, au bord du Mississipi, le 5 mai 1993 au soir par vingt-trois degrés, trois garçons de huit ans vivant dans un quartier périphérique constitué surtout de mobil-homes, prennent leur vélo pour se rendre dans un sous-bois glauque en contrebas d'une autoroute, traversé par un cours d'eau et une grosse canalisation. Leurs cadavres, nus, mains attachées par derrière aux chevilles grâce à leurs lacets, seront retrouvés le lendemain dans l'eau. L'un des garçons a eu les bourses coupées. C'est le début d'une longue enquête qui va conduire à l'arrestation de trois adolescents soupçonnés d'appartenir à un groupe satanique. Deux seront condamnés à la perpétuité, le troisième à mort.
Mara Leveritt a été journaliste locale avant de créer son propre hebdomadaire. Elle prend la suite de trois réalisateurs qui ont livré quatre documentaires sur cette affaire. D'emblée, elle s'impose comme une redoutable chroniqueuse, n'oubliant rien, citant tout et construisant dans ce livre, grâce à des chapitres courts et titrés, la chronologie d'une enquête et d'un procès exceptionnels par les manques, les absences de preuves, les rôles mal définis, les faux témoignages et les mystères impliquant en premier lieu les policiers et certains témoins.
Parmi les personnages ambigus, le surveillant autoproclamé des adolescents en péril qui s'acharne à imposer sa vision d'une société virant au satanisme ; le beau-père violent d'une des victimes, jamais envoyé en prison malgré une collection de cambriolages et de détention de drogue car protégé par son rôle d'indicateur ; une belle voisine jouant à la taupe sexy parmi les adolescents suspectés, appuyant le témoignage délirant de son fils qui assure avoir vu les meurtres. Tout ça pour empocher la prime ! Autres personnages qui ne pouvaient qu'attirer un réalisateur, celui d'un détective privé qui va se substituer aux policiers et mener une contre-enquête ; des procureurs retors proposant de séparer les procès de façon à permettre à l'un des accusés de charger l'autre pour gagner dix ans de prison ; des mères de famille détruites ; des équipes de médecine légale absentes, remettant leurs rapports des mois après les faits ; des hommes de justice et des politiques primaires, sans culture, jouant à fond avec le populisme.
Tout ceci est combiné avec des indices cruciaux comme les nœuds des lacets ou le fameux couteau trouvé dans un plan d'eau près du mobil-home d'un accusé, couteau appartenant sans doute au beau-père d'une victime. A-t-il été placé là par lui, par la police elle-même ? Et qu'en est-il de ces accusations de satanisme ? Quelques poèmes, des T-shirt au look hard metal, des éléments de religion Wicca et quelques joints peuvent-ils conduire des adolescents mineurs à ces horreurs ?
Mara Leveritt ne tombe jamais dans le piège de l'implication de l'auteur comme Walter Kirn par exemple. Pour elle, il n'y a que les faits qui comptent. Son livre est bâti comme ces reportages américains qui découpent les propos des multiples intervenants en phrases courtes. Mais il est avant tout une relation judiciaire avec les longueurs que cela implique, notamment lors des procès ultra détaillés aux précisions troublantes pour le public français comme l'interrogatoire des jurés ou les marchandages des procureurs. Ce livre est donc pour un public motivé.
En conclusion, et pour ne pas dévoiler la fin, le sous-titre mentionnant l'erreur judiciaire pervertit l'enquête en train de se faire et le lecteur se doit d'être attentif aux petits cailloux que Mara Leveritt sème sur le chemin. Outre la peinture d'une société pauvre, voire marginale, reléguée dans un décor "typique" qui ferait le bonheur de Quentin Tarantino, on voit émerger une figure de coupable. Celle d'un monstre en filigrane, mais qui, pour l'instant, n'est pas inquiété.
Citation
Debout au bord d'une haute berge, Jones montre du doigt le ruisseau en contrebas. Une chaussure de tennis, sans lacet, flotte à la surface.