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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Sophie Bastide-Foltz
Rodez : Le Rouergue, avril 2015
336 p. ; 21 x 14 cm
ISBN 978-2-8126-0863-6
Coll. "Noir"
Étroites issues
Le titre français introduit une ambiguïté : que faut-il exactement entendre par sauve-toi ? S'agit-il d'un appel à la fuite pour éviter les ennuis ou bien d'un appel à des forces supérieures qui peuvent nous aider à passer de bien pénibles épreuves ? Le genre "Sauve-toi et le Ciel te sauvera", pour paraphraser une parole connue... Tout au long du roman de Kelly Braffet, ce sont ces deux aspects qui animeront les personnages. On savait que les États-Unis pouvaient être un pays violent mais on pensait plus aux tueurs en série ou aux gangsters. Or, cette violence, elle est omniprésente et elle va être rencontrée à travers les destins des jeunes gens de deux familles.
D'un côté, les Cusimano. Le père, alcoolique, a écrasé un petit garçon et est en prison. Mais dans la petite communauté du coin, les deux enfants du chauffard devraient, eux aussi, payer pour la faute du père. Aussi surnagent-ils entre une maison à tenir, des petits boulots et la haine des voisins. Patrick vit mal tout cela d'autant plus que son frère a installé dans leur maison sa petite amie, la douce Caro, qui se laisse aller à un tendre penchant pour le petit frère. De l'autre, les Elsehere. Le père anime un groupe de prières et a tourné sa vie vers Dieu. Sa fille aînée, Layla, a viré gothique et traîne avec un groupe de jeunes gens, habillés de noir, ressassant des pensées sombres, sous l'influence de Justinien, une sorte de gourou du pauvre. La famille a reporté toute son affection sur Verna, la sœur cadette. Celle-ci vient d'entrer au lycée et est la cible des autres, à cause de l'engagement chrétien de sa famille. Elle vit la violence au quotidien - brimades, injures, coups -, et ne sait vers qui se tourner pour trouver un peu d'aide. Elle pourrait être une proie facile pour Justinien qui, vu de loin, apparaît comme un sage, mais qui se trouve être en réalité un pervers de la pire espèce.
Du coup, le titre revient comme un boomerang : faut-il fuir cette société fermée (le village ou le lycée) qui ne sait que donner des coups et fonctionner en troupeau docile d'où aucune tête ne doit dépasser ? Faut-il partir ailleurs même si partout l'herbe est de la même couleur ? Dans ce cas bien précis, au moins, on peut espérer l'indifférence... Ou bien Patrick et Verna doivent-ils chercher à l'intérieur d'eux, dans leur conscience, ce qui pourrait les sauver et les faire accéder à une "paix". Patrick a sans doute fait un premier pas en dénonçant son père après l'accident mais sa relation avec sa "quasi" belle-sœur complique les choses. Verna essaie aussi en renouant avec sa sœur et ses amis qui forment une communauté assez tentante. Tout reste fragile. Layla rencontre et drague ouvertement Patrick. Cela peut cristalliser une violence qui affleure au long des pages sensibles, racontées avec finesse, comme une suite de tableaux de Dennis Hopper - zones commerciales à perte de vue, marche le long des routes, station-service de nuit, baraques où le ménage est effectué à la va-vite, couloirs vides des casiers des lycéens ou toilettes de l'école qui sont autant de pièges. Même l'amour n'est qu'une échappatoire morbide avec une activité mécanique, comme si l'on prenait juste la main de l'autre pour s'empêcher de chuter et non pour construire ensemble.
Le récit, tendu comme un ressort vers sa fin, s'appuie sur des petits riens, sur du quotidien, et mélange avec intelligence les actions et les pensées de ses personnages, pour créer un univers étouffant et sombre où chacun tente de construire sa place.
Citation
Patrick sut que cette petite chose blanche logée dans la calandre n'était pas un gravier mais une dent, trop petite pour venir d'une bouche d'adulte.