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Petits fantômes
Grand format
Inédit
Tout public
Swingin' London, le monde sans moi
Le narrateur a rencontré trois fois des gens qui étaient morts. Son grand-père d'abord, et en dernier Dickie Force, bronzé, ses lunettes de soleil à la main. Vivant, Dickie ? Pourquoi diable alors avait-il organisé sa disparition ? Dickie avait débarqué à Brix – Brixton - ce quartier de Londres, ado. C'est donc là que le narrateur commence son enquête. C'est comme ça que ça commence. Un jour, le narrateur réalise qu'il a cinquante-sept ans. Et son vieux pote de toujours le convoque dans le bureau de sa rédaction pour lui annoncer qu'il est viré. Simple réduction de la fameuse masse salariale... pour finir par le réembaucher aussitôt, mais en qualité de free-lance. Il lui offre en outre de diriger une maison d'édition consacrée au rock. Et de commencer par une biographie de Dickie Force. Ça tombe plutôt bien. Dickie, il l'a vu ses lunettes à la main, et ce longtemps après sa mort. Voilà comment ça commence.
Dickie, c'est les années 1950 en noir et blanc. Une seule chaîne de télévision, une seule émission de variété. Dickie, c'est l'époque des comics bon marché. "Souvenirs, souvenirs." Le narrateur cherche d'abord des vieux de la vieille, qui auraient connu Dickie. Dans Londres, dans le sillage des Shadows, par exemple, ou de Gene Vincent. Lui connaît tout cela par cœur, mais qui se souvient encore de Dickie Force ? À peine une poignée de survivants de cette époque révolue, enterrée, gommée. Qui était-il vraiment du reste ? Ça, c'est l'affaire du roman. Ainsi que les années 1950, le rock, les débuts de la télé. Et d'exhumer un numéro spécial de Parade, été 1961, l'occasion de distiller les éléments de cette biographie dissimulée sous une écriture romanesque. Dickie, né en 1941 dans la banlieue de Liverpool, vendeur dans une boutique d'électro-ménager, où il découvre le rock entre deux clients prévenus. Dickie tombant sur une guitare d'occase en 1958, et rameutant des potes pour former les Spirits en 1959, qui deviendront les Panthers et sortiront en juin 1960 leur premier chart : Bad Guy.
Le ton est celui des polars des années 1950. Des phrases au couteau encadrent une atmosphère soignée et un récit égrenant des perles rares. L'enquête est certes fictive autour de la disparition de Dickie, mais elle est aussi biographique, nouant de superbes évocations des années d'adolescence du narrateur lui-même. Biographie romanesque d'un genre nouveau, au style attachant, empreint de mélancolie et de compassion, pour soi, le narrateur dressant la chronique d'une vie, la sienne cette fois, qui tire sur sa fin, se prépare à sa disparition, à laisser place à un monde qui se fera sans lui. Un récit plus qu'un roman, ouvrant sur des pages magiques, comme celles où la fille de Dickie entre énigmatiquement dans le fil de l'histoire pour raconter la fin de son père, quand celui-ci finit par tourner le dos au star system. Angie est un personnage tout à la fois tellement romanesque et tellement sensible. L'évocation même de cette douceur qui justifie qu'un tel texte existe et recommande chacun à sa propre mesure. Celle de tous ces témoins de la vie de Dickie que l'on croise au fil du récit, admirables de sincérité, dans cette franchise que le style épouse résolument. Exit les fioritures qui nous recommandent si peu. Rodolphe sait être juste, jamais oiseux.
Citation
Quarante-cinq ans d'insuccès, ça vous fait un bonhomme !