Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
168 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 978-2-918634-27-0
Coll. "Borderline"
Triste arctique
Cela faisait bien longtemps que les écrivains de romans policiers ne se préoccupaient plus du meurtre en chambre close - à part avec brio le romancier Paul Halter qui prenait souvent le soin de situer ses intrigues dans des domaines passés ou à forte connotation anglo-saxonne. Mais ici sous la plume de Didier Jung, le récit se renouvelle avec une chambre close un peu particulière puisqu'il s'agit d'un bateau, un gros paquebot qui fait une croisière. Une croisière un peu particulière puisqu'il est question de s'enfoncer dans les mers glacées du Nord et d'écouter craquer les icebergs (tant qu'il y en a encore) et chanter les baleines (toujours tant qu'il y en a encore).
Au sommaire de ce récit hommage aux romancières du crime anglo-saxonnes, trois morts étranges : un Pakistano-Norvégien passe par dessus bord durant la nuit, juste après s'être violemment disputé avec un néo-nazi ; une jeune femme qui s'est fracassé le crâne dans sa cabine suite au roulis et un manque de pied marin, et une riche Italienne qui vivait avec son gigolo. L'inspecteur Godtfried Berge, un policier du cru, accompagné de l'ex-commandant de police Ange Morazzani qui s'avère être de manière fort propice l'un des passagers de cette croisière meurtrière, mène l'enquête dans les règles de l'art suranné des romans d'Agatha Christie : interrogatoires des suspects, tentatives de montrer les failles de leurs discours, recherches méticuleuses des indices et du passé des victimes pouvant expliquer leur mort. Le tout est un bel hommage, un peu long et explicatif, comme chez les auteurs anciens. L'auteur modernise quelque peu la recette en injectant des données plus contemporaines comme les diatribes anti-immigrés et la sexualité de ses personnages (un couple lesbien, une couguar richissime, une membre d'équipage particulièrement sexy).
Didier Jung surprend surtout par sa description de l'expédition-croisière. Là où sa glorieuse devancière présentait les riches et snobs embarqués dans un Orient-Express de légende ou un navire sur le Nil rassemblant le gotha anglais, Le Chant des baleines ressemble plus à un vieux cargo fatigué. Le voyage est éprouvant car il fait froid et le roulis provoque plus de nausées que de remarques admiratives, et les escales sont l'occasion de descriptions désenchantées. Comme chez Levi-Strauss, le contact avec les indigènes est l'objet d'un regard désillusionné, ne serait-ce que l'accostage sur une petite île où ne subsistent que quelques Russes, encore bloqués dans le monde soviétique, et qui ne s'animent qu'au passage des touristes qu'il convient de traire le plus possible. Du coup, les paysages, grandioses sont surtout évoqués pour leur capacité à glacer les os, et il faudrait avoir une oreille bien fine pour entendre ce fameux chant des baleines.
Cet hommage aux grands classiques anciens et cette vision amère de l'un des derniers espaces sauvages (même si le réchauffement climatique lui fait perdre beaucoup de son attrait ces derniers temps) constituent les aspects forts d'une intrigue légèrement poussive, d'une écriture qui souffre de ses besoins explicatifs et de personnages engoncés dans leur manteau et ralentis par le froid.
Citation
C'est dégueulasse de tuer quelqu'un de sang-froid, uniquement pour le voler.