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L'Affaire Brian Blackwell ou la rage de Narcisse
Grand format
Inédit
Tout public
Un garçon bien élevé
Rien que le trucage numérique de la couverture invite à la réflexion. Ce tableau est intitulé en page de garde Narcisse se mirant dans un lac de sang, d'après Caravage. Or, si dans certaines versions de l'histoire, Narcisse se poignarda, on comprend que le tableau du Caravage montrant une onde claire s'est fait promptement teinté d'un coup de Photoshop et nommé autrement. Subtil ! En dehors du fait que l'on est plus dans une illustration pour une affaire du XVIe au XVIIIe siècle pouvant dérouter le lecteur, celle-ci n'en constitue pas moins une intelligente mise en scène du syndrome au centre de cette incroyable histoire criminelle.
De façon à ne pas dénaturer la dynamique de la découverte, nous n'entrerons pas dans les détails du sinistre parcours de Brian Blackwell, garçon modèle né en 1986 de l'union tardive de deux ex-amants pendant vingt ans. Sa mère l'ayant eu à quarante ans, elle le couve, débaptise le père qui a le même prénom, et mise sur l'intelligence de son rejeton pour en faire un grand médecin. Après une vie sous la férule de cette mère castratrice qui prend soin de lui empêcher toute relation, Brian Blackwell rencontre à dix-huit ans une jeune fille dont il va s'enticher. Enfant de vieux ? Non ! C'est là, que sa "rage narcissique" va exploser...
Les Français connaissent les affaires Jean-Claude Romand et Xavier Dupont de Ligonnès, exemples types de cette dérive qui pousse l'affabulateur à étayer ses mensonges pendant des années, voire des dizaines d'années et qui, acculé par des révélations fatales, détruit ses proches d'une façon violente en une explosion de vérité. Les Anglais ont, eux, suivi de près l'Affaire Blackwell en 2004 et 2005, non seulement parce que les faits étaient horribles, mais surtout parce que le garçon n'avait que dix-huit ans, était le premier de la classe, bien éduqué et poli, sportif et très beau, et que les manifestations de son mal se déroulèrent sur peu de temps.
Michel Ferraci-Porri débute son récit par le dernier petit déjeuner et use d'un style un peu tarabiscoté et précieux qui, heureusement, va s'alléger au fur et à mesure que l'histoire prend sa terrible ampleur. Comme le lecteur possède les bribes de la quatrième de couverture, il avance avec des antennes. Mensonges et affabulations sont bien mis en scène ainsi que le processus auto-destructeur de ce "gentil garçon" dont l'intelligence extrême et la rouerie stratégique achoppent sur des indices d'une simplicité enfantine pour les enquêteurs. Poussée des hormones ? Pas seulement. S'il aima sa petite amie et l'entraîna dans un stupéfiant voyage, il semble qu'il n'ait jamais eu avec elle de relations sexuelles. Nous sommes donc dans un fantasme total qui dévore notre héros d'un romantisme sanglant sous des dehors charmeurs. Voilà une double personnalité impressionnante pour son âge : tout est sous contrôle et rien n'est contrôlé. Et l'auteur, après quelques scènes terribles lors de la découverte des cadavres putréfiés, embraye avec le procès où il a l'habilité de montrer le père et la mère sous un autre jour grâce à un montage pertinent des témoignages.
Au final, voilà un texte d'autant plus prenant que tous les lecteurs savent combien l'adolescence et la vie de famille sont un bouillon de culture. Les hormones encore, mais aussi la soif de reconnaissance, d'argent, le goût d'être au centre transmis par la mère perverse. La pourriture n'est pas loin. Et la pathétique lettre finale que l'auteur envoie au condamné et qui restera sans réponse marque bien l'empathie pour un monstre qui n'en est pas un.
Citation
Là, au bord de l'asphyxie, ils avancèrent dans la semi-obscurité pestilentielle, avec cet assourdissant et incessant bourdonnement d'insectes qui tourbillonnaient autour d'eux.