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Qui a tué le Dahlia noir ?
Grand format
Inédit
Tout public
Le cœur au bord des lèvres
Au départ il y a un simple faits divers, mais au final le fait divers a accouché d'un véritable fantasme. Entre les deux tout un pan de la culture occidentale qui se met en place, se ramifie, varie dans ses formes et ses extensions pour transformer ce qui ne pourrait être qu'une affaire glauque en un mythe urbain.
Derrières les apparences, derrière le visage glamour d'une belle femme, de sous-vêtements vaporeux et d'un rituel sadique, Stéphane Bourgoin nous offre une plongée dans l'inconscient d'une époque, dans les remous et les remugles d'une affaire qui, au fil des années, rejoint l'épopée de Jack l'Éventreur. Mais là où l'on s'intéressait au tueur, à une ombre avançant dans la nuit et sacrifiant des femmes, ici, c'est bien la victime qui est au cœur de l'intrigue.
Tout d'abord, Stéphane Bourgoin balaie dans cet essai conséquent - comme une somme -, tous les aspects et met en pleine lumière la façon dont nos fantasmes sont parfois mis à mal par la réalité. À cet égard, les nombreuses photos qui ponctuent l'ouvrage, créent un malaise, un malaise bienvenue car il nous remet dans la position douteuse dans laquelle nous nous trouvons avec cette affaire : celle de voyeurs qui savourent de loin une violence aseptisée. L'auteur décrit avec soin cette violence multiple - celle du tueur, certes, mais aussi (et surtout) celle des journalistes qui n'hésitent devant aucun stratagème pour vendre plus de papiers ainsi que celles des différents services policiers qui vont mettre en place des stratégies pour assurer leur propre pouvoir au détriment d'une affaire qu'ils traient à la légère (la longue description du "travail" d'Elliott Ness, complètement dépassé par une partie de l'histoire est stupéfiante, sans oublier les nombreuses pistes que Stéphane Bourgoin évoque et qu'il ponctue en montrant que la police ne s'en est pas occupé).
Qui a tué le dahlia noir ? se décompose en plusieurs chapitres. Tout d'abord, l'affaire, elle-même est présentée. Puis Stéphane Bourgoin présente, avec soin, les différentes thèses qui ont couru, montrant leurs forces et leurs faiblesses, avant de décrire la façon dont le faits divers s'est peu à peu inscrit dans le paysage culturel (livres, romans, films, peintures, chansons). Dès le départ, cet élément est présent puisque la morte est elle-même surnommée ainsi par référence à un film de l'époque, sur un scénario de Raymond Chandler.
Une fois ces éléments décrits, l'auteur fait part de ses hypothèses et déploie une force d'analyse, née de son contact avec des tueurs en série, de ses études et travaux sur le sujet. Compulsant un nombre incalculable d'affaires en souffrance, de détails d'un crime à l'autre, il reconstitue ce qui pourrait être l'itinéraire d'un tueur sanglant, d'un être passé à travers toutes les mailles du filet. Son analyse, basée sur les faits, sur les concordances, sur les dossiers non clos, montre en parallèle la continuité d'un criminel qui a poursuivi sa méthode, l'a perfectionnée et meurt bêtement avant d'être officiellement arrêté. Cette mort, effaçant des aveux et peut-être des preuves, empêchera toute certitude absolue, laissant le fantasme continuer à prospérer.
Les soixante dernières pages de cet essai montrent que certains se servent de cette horreur pour leur propre intérêt : soutiens-gorge ou bière du Dahlia noir, par exemple.
Outre qu'il présente une "(ré)solution" satisfaisante, argumentée et convaincante, Qui a tué le dahlia noir ? offre aussi une vision saisissante d'un monde considéré comme civilisé, où le crime et l'horreur restent tapis derrière l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette, où les pulsions peuvent s'exercer discrètement sur des êtres considérés comme faibles ou peu dignes d'intérêt : femmes, clochards, prostitués des deux sexes (il est sidérant de constater, par exemple, que Stéphane Bourgoin lorsqu'il détaille les victimes ne sait que peu de choses sur elles. Souvent, ce sont des corps que personne ne réclame, dont on ne connait même pas le nom), comme si ce mince vernis que nous appelons civilisation ne passait pas son temps à se craqueler soit de manière individuelle avec les tueurs en série, soit de manière collective avec les pulsions génocidaires acceptées (depuis la Saint-Barthélémy jusqu'aux derniers bons élèves européens partis égorger des inconnus devant les caméras des fous de Dieu).
Citation
Depuis vingt ans, j'ai accumulé, épluché, recoupé, analysé et synthétisé des milliers de 'cold cases' aux États-Unis, afin de tenter d'y découvrir des analogies avec l'assassinat d'Elizabeth Short. Avec Qui a tué le Dahlia noir ? vous avez en main le résultat de cette quête obsessionnelle.