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Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Sébastien Raizer
Paris : Gallimard, février 2015
506 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-07-014548-5
Coll. "Série noire"
La tête et les jambes
Dans les années 1980 sont nés des enfants "différents", surdoués ou dotés de pouvoirs surnaturels, appelés au choix "Brillants" ou "Anorm". Pendant que la société se demandait ce qu'elle allait en faire, ils ont grandi... Certains sont devenus utiles, d'autres néfastes. On a donc créé le DAR (Département d'Analyse et de Réponse), chargé de gérer les problèmes éventuels liés à ces anomalies. C'est alors qu'un terroriste du nom de John Smith lance une campagne d'attentats meurtriers. Nick Cooper, "Brillant" lui-même (il lit le langage corporel comme dans un livre) et agent numéro un du DAR tente de remonter le réseau et ne tarde pas à comprendre que la seule solution est de passer pour un traître aux yeux de ce même DAR afin d'infiltrer les cellules terroristes. Pour cela, il se rend à New Canaan, ville nouvelle qui sert de résidence aux "Brillants" désireux de s'isoler. Il découvrira que parfois, l'ennemi n'est pas là où on l'attend...
Comme le disait avec ironie un chroniqueur anglais, la SF est désormais devenue l'équivalent de la collection de vinyles de rock progressif de votre grand-oncle : poussiéreuse, passéiste, rendue presque obsolète par la technologie, à jamais fixée sur un prétendu "âge d'or" qu'elle est incapable de dépasser, encore persuadée que son heure de gloire viendra (mais sans faire d'effort pour ça, attendant que le monde entier se prosterne devant les sciences-fictionneux en reconnaissant enfin leur supériorité). Pourtant, il y en aurait des choses à dire (comme le démontrent sporadiquement les auteurs comme Pierre Bordage ou Jean-Marc Ligny de ce monde, capables de traiter de la réalité telle qu'elle est, et non de produire des pensums conçus pour que cinquante personnes maximum puissent les comprendre). Pour ce premier roman d'une nouvelle série (après trois ouvrages publiés au Cherche midi), la publicité américaine, jamais en retard d'une hyperbole, proclamait fièrement "Le genre d'histoire telle qu'on en a jamais lue." Certes, à condition d'avoir vécu en ermite en ratant cinquante ans de pop-culture : X-men (influence majeure), le phénomène des Batman cinématographiques de Nolan (un attentat symbolique contre la Bourse), V pour Vendetta (le terroriste à l'effigie omniprésente), les "Jason Bourne" version Hollywood, tout le néo-espionnage où les choses sont rarement aussi tranchées que lors de la guerre froide, et de nombreux films — et séries TV -, avec la description de toute une équipe autour d'un mentor et une action progressant souvent à base de dialogues. Voilà pour l'originalité. Par contre, l'efficacité est là, et elle est imparable. Nick Cooper est loin d'être un héros indestructible doté de la certitude de détenir la VÉRITÉ (bien au contraire, il s'interroge même sur son "droit de tuer" qui le pousse vers le côté obscur de la Force, ce qui est rare de nos jours) : il doute, se trompe, et l'usage de son don rajoute un niveau supplémentaire. Le retournement thématique, où le héros s'aperçoit peu à peu qu'il est ce qu'il pourchasse, rappelle les espions en tant que héros post-modernes de John Le Carré et les nuances d'un David Morrel. D'une actualité brûlante, le roman réussit à la fois d'être à la fois post-11-Septembre (sans le sentimentalisme geignard qui empèse certaines œuvres) ET post-Bush en montrant les conséquences des dérives sécuritaires. L'auteur se permet même de rajouter un niveau de lecture supplémentaire par des intercalaires montrant ce que serait un monde sans les "Brillants"... à savoir le nôtre ! Le tout avec un style dépassant largement le tout-venant du best-seller (et à la traduction irréprochable). En somme, un excellent roman populaire au sens noble qui offre à la fois une aventure prenante ponctuée de scènes d'action nullement gratuites (et évitant la tarte à la crème de l'homme qui a vu l'homme qui a vu la bombe), et quelques neurones de plus que la moyenne en traitant de sujets résolument actuels sans jamais devenir didactiques. Preuve supplémentaire que la vénérable "Série Noire" continue d'évoluer sans rester arc-boutée sur le polar de papa, n'en déplaise aux nostalgiques du "c'était mieux avant".
On en parle : Carnet de la Noir'Rôde n°55
Citation
Le Monocle était une institution à Capitol Hill. Situé à quelques blocs à peine des bureaux du Sénat, l'endroit accueillait les éminences grises de DC depuis un demi-siècle. Les murs étaient couverts de tirages de format 20 X 25, dédicacés et encadrés, de tous les politiciens influents depuis cinq décennies, de tous les présidents depuis Kennedy.