Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
272 p. ; 24 x 16 cm
ISBN 978-2-917035-36-8
Coll. "Brouillards"
Marin fantôme
L'on comprend parfaitement ce qui pouvait justifier un tel ouvrage dans une collection intitulée "Brouillards". En effet, L'Or des princes est un roman des embruns et des ports avec des clairs obscurs et des affaires qui se règlent dans la nuit, dans la pénombre, derrière les vapeurs de brume. Il sera beaucoup question de ports, de marins, de pêches, car c'est le choix central du personnage, Victor. Ce dernier, s'il désire ardemment s'embarquer et être marin, se retrouve en rade, en cale sèche. Fécamp était peut-être un port de pêche et entendait le rester mais les aléas économiques en ont décidé autrement. Aussi, Victor traîne-t-il sa misère, subsistant du RSA, à regarder la mer. Il ne se plaint pas et a appris, pour ne pas se suicider sans doute, à vivoter entre les quatre murs de sa petite chambre et dans un rituel d'activités immuables. Entre deux promenades, il observe par la fenêtre son voisin. Surtout, il est tombé amoureux de Julie, qu'il espionne, surveille et suit, sans lui dire un mot. Là encore, sa vie est décrite avec soin dans une sorte de rêve éveillé perpétuel, de cauchemar sans monstres, de lentes dérivations d'un navire fantomatique dans la brume, ponctué de quelques rencontres avec des personnages ectoplasmiques. Dans la brume qui lui encombre le cerveau, Victor ne rêve que d'une chose : rendre Julie heureuse et donc de lui offrir ce qu'il peut. Mais il n'a rien. Aussi, lorsqu'il rencontre Aaron et une proposition de travail, il accepte. Après une rencontre avec les partenaires de son nouveau mentor, tout reste dans le flou : chauffeur pour des gangsters connus qui font la tournée des revendeurs de drogue afin de toucher leur quote-part, ce n'est qu'une suite de scènes oscillant entre la rudesse du monde criminel - des putes glauques dans une maison délabrée, des tortures sur des revendeurs récalcitrants ou désireux de changer de fournisseurs, collègues de travail frustres et qui apprécient peu ce nouveau venu, chouchou du patron.
Ce qui donne une tonalité encore plus brumeuse, étrange, ouatée et kafkaïenne à ce roman, c'est un autre élément. Un matin (comme dans La Métamorphose), Victor se réveille avec sa main gauche en moins. Pourtant cette main vit encore, séparée de lui et peut ainsi se promener. Comme elle reste en contact avec son cerveau, il peut "voir" de cette main, se faufiler par les velux chez Julie, surveiller de loin ses "associés". Rêve, cauchemar ou réalité qu'il est seul à connaître ? À moins qu'il ne soit déjà mort en décomposition et que son cerveau seul imagine toute cette histoire... L'Or des princes de Laurent Mantese ne tranche pas mais maintient sur le fil du rasoir son intrigue entre ces deux pôles aussi glaçants l'un que l'autre - un roman noir où un être naïf se fait embobiner par tout le monde et qui, même s'il se révolte, finira victime de sa naïveté ; et un conte fantastique, dans la grande tradition du genre (celle de Guy de Maupassant de Gérard de Nerval qui auraient connu Pôle emploi, les voitures, les fusils à pompes et les besoins de masturbation) qui se déploie autour d'un personnage immobile, fantôme du XIXe siècle, rêvant d'espaces marins, de grandes pêches et de galions, perdu au milieu de putes ukrainiennes, de sacs remplis de liasses d'euros et de ronds-points de centres commerciaux.
Citation
L'alcool a anesthésié en moi toute pudeur... L'alcool, et quelque chose d'autre... indéfinissable... pesant... qui traîne quelque part dans un recoin poussiéreux de ma cervelle.