Les Barricades mystérieuses

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Roman -

Les Barricades mystérieuses

Psychologique - Social - Urbain MAJ vendredi 12 juin 2015

Note accordée au livre: 4 sur 5

Poche
Réédition

Tout public

Prix: 7,7 €

Sébastien Lapaque
Arles : Babel, janvier 2012
264 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-330-00267-1
Coll. "Noir", 59

À l'aube du renouveau

Neubourg, journaliste rêveur et romanesque chez Paris-Matin, est fasciné par son collègue Maranges. Il faut dire que celui-ci mène une existence sulfureuse qui a tout pour lui plaire : courses de chevaux, paris (du verbe parier), filles (principalement des professionnelles), argent qui file entre les doigts, dettes, relation avec le mitan, touche-pipi avec la police, nuit, alcool, planning aux "abonnés absents", enfin tout à fait le genre de personnage qui aurait permis à Maurice Ronet de recevoir la coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine. Les deux hommes se sont liés d'amitié et quand Maranges doit abandonner une serviette remplie de pognon à quelqu'un de confiance, il choisit Neubourg, lequel brossé dans le sens du poil de son fantasme (être le héros) et respirant déjà le dangereux parfum de l'aventure (celui dont on sait qu'à la longue il va nous filer un mal de crâne carabiné mais qui sur le moment nous fait le même effet que de rentrer chez soi et d'y trouver une femme magnifique et complètement nue sur notre plumard... oui, je sais, ça n'arrive jamais), accepte.
Seulement, quand le lendemain, le gars Maranges ne se présente pas à la feuille de chou, l'ami Neubourg s'inquiète. À tel point qu'il décide d'enquêter (ici, synonyme de "s'attirer des emmerdes") lui-même pour retrouver son poto. Il sera aidé en cela par un autre collègue, un cinquantenaire prénommé Marin, un tantinet nostalgique de la révolution prolétarienne en col mao. À propos de Mao, c'est aussi le prénom d'une délicieuse personne dont Neubourg est fou amoureux et qu'il désire enlever à son mari (évidemment un con !). Voilà pour le canevas (à boire avec modération) !
Les Barricades mystérieuses (titre emprunté à la pièce pour clavecin écrite dans les années 1716-1717 par François Couperin) de Sébastien Lapaque possède tout le charme d'un premier roman. Et c'est bien normal puisque c'en est un. Édité chez Actes Sud en 1998, il a été réédité dans la collection "Babel noir" en janvier 2012. Fougueux, intense, effréné, mais aussi maladroit, il touche par son savant mélange entre les références aux aînés du roman et cinéma policier que l'auteur admire (et desquelles un "débutant" ne pense pouvoir se départir à l'heure où il décide enfin de s'exprimer), et l'émancipation totale et prochaine qu'il nous laisse voir sans fausse pudeur. Neubourg est un personnage retranché qui va se retrouver dans la lumière, un journaliste inconnu que son aventure va faire passer du côté de la Une, un homme qui va devoir dire adieu à son amour de jeunesse, un rêveur qui va passer à l'action, un passéiste (d'époques qu'il n'a pas vécues) qui va se confronter (et de quelle façon) au présent (qu'il doit vivre même s'il ne correspond pas à son idéal moral). Bref, et peu importe l'âge, quelqu'un qui va s'émanciper. Comme le font tout simplement les créateurs quand ils cessent d'admirer (au sens regarder) l'œuvre des autres pour construire leur propre œuvre. Ce que fait vraisemblablement Sébastien Lapaque avec ce premier roman puisque c'est justement son premier roman. Reste évidemment à trouver son équilibre. Quête du soi qui est le vrai sujet du livre et qui se matérialise de deux façons :
D'abord, contraste avec les deux autres personnages masculins que le héros fréquente : Maranges qui brûle la vie par les deux bouts (ce qui est trop), et Marin qui a vécu, qui est sur le retour, dont le goût pour les péripéties se ranime au contact de l'intrépidité de son compagnon sans toutefois qu'il commette l'erreur de se bercer d'illusions puisque c'est l'apanage de la jeunesse (ce qui n'est pas assez... du point de vue de Neubourg j'entends). Et ensuite, et ça c'est bougrement astucieux, avec un affranchissement très intéressant : celui de Paris sur Paname. En effet, ce roman est un formidable témoignage de ce moment charnière où tout une page, celle qui s'écrivait sous le chapitre "parigot", se tourne. On ne quitte jamais la capitale pendant le récit, parcourant bons nombres de quartier, du 14e arrondissement cher à Michel Audiard, au 9e, 16e, 13e, en passant par Montparnasse ou la Contrescarpe. Sébastien Lapaque a su capturer ce temps où ce qui est en place depuis belle lurette va déserter la réalité pour entrer en grande pompe dans le musée secret de la ville des lumières. Musée qui se visite en rêverie nostalgique et où il est possible d'entendre Miles Davis jouer la bande originale de Ascenseur pour l'échafaud pendant que François Ier prépare une poule au pot pour Victor Hugo et Ernest Hemingway aux Deux Magots !
Dans ce roman, on a encore les décors et les codes du "cinéma de papa". Jusque-là, les nouvelles générations se contentaient de ravaler la façade, mais bientôt ça va faire place libre, bétonner, durcir, moderniser. Neubourg vit dans un temps qu'il s'est fabriqué à base de lecture et qui a commencé à mourir, un temps qui trimballe son langage, sa façon de voir les choses, ses certitudes, sa définition de l'honneur, bref des concepts qui ont déjà en partie disparus mais avec lesquels on peut encore se bercer tant qu'on n'accepte pas le fait que seul le changement est inexorable. En sortant de sa bulle pour retrouver celui qu'il considère comme son ami (mythologie du code d'honneur appartenant au passé), le jeune journaliste ne peut plus ignorer la réalité de son époque qui est en pleine mutation. Les coups violents et physiques dont on l'assène sont en opposition aux coups à peine perceptibles mais bien réels qu'il reçoit et qui ébranlent son monde idéalisé tandis qu'il arpente les rues et côtoie ses contemporains (même si certains sont comme lui).
Bref, Les Barricades mystérieuses, en plus de ces qualités littéraire et de son histoire qui ravira les amateurs de polars, est aussi un bye-bye émouvant au passé et une porte ouverte sur le présent.
L'aube du renouveau du genre policier en somme ?
À découvrir pour les uns, à redécouvrir pour les autres.

Citation

Place Denfert-Rochereau, un faux silence flottait au-dessus des statues désuètes et des squares assoupis. Autour du lion de cuivre, soudain plus lourd et plus inquiétant, la chorégraphie improvisée par les feux tricolores retenaient à peine les ombres qui glissaient dans la nuit.

Rédacteur: François Legay jeudi 11 juin 2015
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