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Inédit
Tout public
Traduit de l'espagnol (Cuba) par Morgane Le Roy
Paris : Asphalte, juin 2015
140 p. ; 20 x 15 cm
ISBN 978-2-918767-48-0
Coll. "Fictions"
Cuba libre
"Leo, la vérité n'existe pas" fait dire Lorenzo Lunar à l'un des personnages de son intrigue urbaine et typiquement cubaine. Puis, dans sa narration, le romancier parle de "l'idiot, comme s'il sortait cette phrase d'un manuel de philosophie classique". Et l'on se prend à comparer ce personnage défait au prince Muichkine, du roman éponyme de Fedor Dostoïevski. Mais celui de Lorenzo Lunar, contrairement à celui du romancier russe a agi. Et c'est là la différence principale entre les deux hommes - ou comment deux visions du monde se répondent : l'une froide et ankylosante, celle de la Russie des Tsars, l'autre caniculaire et exacerbante, celle de Cuba et de son insularité chaotique. À Santa-Clara, un caïd a été assassiné à l'aide d'un marteau de cordonnier qui appartient à Chago le Bœuf. L'occasion pour le commissaire Leo Martin d'emprisonner celui qu'il pourchasse depuis (trop) longtemps. Sauf que bien entendu la vérité n'est pas aussi simple que ça, sauf que la vérité se manipule en tous sens. L'homme assassiné était un proxénète notoire aussi Leo Martin va-t-il aller frapper à la porte des jineteras, ces prostituées que le romancier peint hautes en couleur. C'est qu'elles ressemblent aux femmes que Corto Maltese, le marin imaginé par Hugo Pratt (mort il y a de ça vingt ans), ne cesse de croiser. Elles sont immortelles, maitresses de leur destin, farouches et pourtant pas farouches, sensuelles et sexuelles, amoureuses et froides, aguicheuses et combatives. Ces femmes, certes idéalisées, sont indépendantes. Ce qui ne veut pas dire qu'elles n'ont pas souffert. Ce qui ne veut pas dire qu'elles ne souffrent plus. Comme Leo Martin, elles souffrent avant tout de désespoir et de solitude, alors elles comblent cette souffrance avec l'apanage matérialiste, celui qui offre aux Cubains un certain prestige comme l'appartement auquel a rêvé toute sa vie Manuelo el Buty.
Lorenzo Lunar nous offre une nouvelle intrigue chaleureuse, linéaire sans trop de chemins de traverse. Surtout, dans cette ville qui est un monstre, il permet les errements de son personnage principal somme toute ignare de ce qui s'y passe car l'interlope est omniprésent. La satyre est chirurgicale, la critique politique est la sans faux-semblants, l'insularité chaleureuse omniprésente. La ville est une entité, une construction de briques, de brocs et d'âmes à la stabilité flageolante. La vie est un boléro, et le boléro en question donne son nom au titre de ce court roman que l'on découvre sur le tourne-disque de Tania : "Usted es la culpable de todas mis angustias, de todos mis quebrantos". Cette même Tania dont est amoureux Leo Martin pris entre trois feux, trois amours, l'un mourant, l'autre nonchalant, l'autre enfin totalement fou. L'intrigue est virevoltante, la prose éminemment poétique, les images osées à tel point qu'on les adore avec des affirmations que l'on comprend aisément : "La China aurait pu coter ses poils en bourse." Il est question d'ésotérisme et de croyance, d'espérance et de libertés. Il s'agit assurément de l'un des plus intéressants romans de cette fin d'année. L'un de ceux dont on admire la nostalgie et que l'on apprécie en s'intéressant de près ou de loin à la résolution d'une intrigue dont on se demande si elle est nécessaire ou pas. La vie à Cuba, quoi...
Citation
Et elle se remet en position de yoga, révélant son entrejambe pulpeux, fruit fragile sous la petite culotte rouge, la couleur de San Fancón, et des poils noirs et raides sortant de l'élastique du tanga. La China aurait pu coter ses poils en bourse.