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Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Richard
Paris : Fayard, août 2015
440 p. ; 24 x 16 cm
ISBN 978-2-213-68631-8
Donner un sens au chaos
Il a fallu sept jours, dit-on, à Dieu pour créer le monde, mais il a bien fallu qu'à un moment il se repose, non ? Par contre, il n'a fallu que six jours pour débuter et conclure une guerre entre Israël et les pays arabes. Six jours, c'est également la durée des émeutes qui ont suivi l'acquittement des policiers coupables d'avoir passé à tabac Rodney King entre le 29 avril et le 4 mai 1992. Et c'est bien cette période historique qu'évoque le roman de Ryan Gattis. Pour rendre compte de la complexité de la situation, l'auteur choisit ce que peut paraître la manière la plus naturelle : un roman choral où nous allons passer d'un personnage à un autre pour mieux essayer de cerner ce que fut l'événement. Ryan Gattis, afin de renforcer l'effet dramatique et de nous impliquer davantage en tant que lecteur, ajoute le côté marabout de ficelle, c'est-à-dire que le personnage que nous suivions au premier chapitre meurt dans d'horribles conditions. Assiste à son agonie une infirmière qui devient l'héroïne du chapitre deux et que nous reverrons par la suite comme personnage secondaire dans d'autres chapitres. Tout cela permet de donner une unité, de créer un univers qui empêche le lecteur de se perdre dans la masse des éléments qui constituèrent les émeutes. De même, mis à part un chapitre (et encore) nous ne suivrons pas les forces de police durant ces journées, mais la façon dont deux gangs tentent de profiter des mouvements d'humeur et du chaos qui s'ensuit pour régler leurs propres comptes. Passent également des individus qui n'ont rien à faire avec l'émeute mais qui vont profiter de l'occasion ou bien la subir - un graffiteur, un SDF, un pompier...
La force du roman est de créer une symphonie noire. Dès le premier chapitre, le ton est donné : nous cheminons dans les pensées de Ernesto Vera, un serveur-cuisinier, qui rêve de s'élever dans l'échelle sociale, qui rentre juste fatigué après une journée de boulot et qui se trouve sauvagement assassiné par des membres d'un gang chicano parce qu'il est le frère d'un membre d'un gang rival. Dès ce départ, c'est toute la violence qui explose, en même temps qu'une forme d'injustice. Le roman se clôture de la même façon avec un autre rêve qui s'effondre. Le seul moment où interviennent des forces de police, c'est dans une description hallucinée d'une attaque du gang par un commando anonyme, lié à des forces paramilitaires, en plein barbecue, afin de les frapper et de les blesser pour montrer "qui est le gang le plus fort", comme pour signaler que les États-Unis sont peut-être passés directement de la sauvagerie à la barbarie, sans s'arrêter par la case civilisation.
Dans un tel monde, il n'y a pas de solutions, juste des expédients pour retarder l'inévitable : le long détail de la façon dont un membre du gang organise la destruction méthodique de tout ce qui pourrait apparaître comme une scène de crime, une fuite en voiture vers un ailleurs que l'on espère meilleur, un enfant de douze ans qui cherche une arme à feu pour protéger sa gagneuse ! Une histoire d'amour qui n'existe que dans les pensées de deux amoureux mais sauront-ils faire le premier pas ? La joie de savourer un doughnut et un café car on est encore vivant. Autant de scènes découpées à la façon d'un Robert Altman mettant en scène Short Cuts pour un récit épique et dramatique foisonnant.
Nominations :
Grand Prix de littérature américaine 2015
Citation
J'essaye d'essuyer mon sang pour l'enlever de la vitre et le remettre en moi, mais quand je touche ma joue, je m'aperçois qu'il y a un trou dedans. Un trou gros comme une phalange.