Contenu
Poche
Réédition
À partir de 13 ans
124 p. ; 19 x 13 cm
ISBN 978-2-211-22268-6
Coll. "Médium"
Malsaine curiosité
C'est un roman dérangeant et angoissant que nous propose ici Christian Lehmann, auteur ô combien habitué à interroger ses lecteurs, et résolu à chaque ouvrage à lui ouvrir les yeux sur le monde, les hommes et leurs travers. Plus que le Mal total et absolu annoncé dans le titre, c'est l'immoralité omniprésente et si bien partagée par des personnages que l'on espérerait très différents qui marque le lecteur. En effet, qui du cinéaste désabusé et lâche ou du général ultra-violent et cynique est le plus à craindre ? Paru pour la première fois en 1998, et récompensé en 1999 par le Prix "Lire au collège", La Nature du mal fascine par le talent de l'auteur a explorer les facettes les plus noires de l'homme, qu'il soit puissant, redouté ou ordinaire.
Andrieu est cinéaste et s'il a connu le succès avec son précédent film, c'est cette fois à un fiasco qu'il assiste : non seulement son deuxième film est descendu par la critique, mais en plus il semblerait que ses scènes les plus violentes et sanglantes inspirent des meurtres perpétrés dans le sud de la France. Une seule solution pour se faire oublier et sauver ce qui peut encore l'être de sa carrière : accepter (pour les mauvaises raisons ?) une mission d'Amnesty International et aller à la rencontre du colonel Juan De La Pena, un homme réputé pour sa cruauté et ses accès de violence. Cette rencontre va fasciner Andrieu qui a l'impression de rencontrer le Mal incarné en cet homme à l'allure pourtant peu effrayante et à l'histoire si particulière. Lui-même prisonnier du sinistre Castel Morro dont il est maintenant le geôlier, le jeune De La Pena a choisi d'accepter le marché proposé alors, à savoir sauter par une trappe dans les eaux d'une baie infestée de requins plutôt que de mourir entre les murs d'une cellule. S'il fut le premier prisonnier à en sortir vivant, il y laissera pourtant l'une de ses jambes et sa foi en l'humanité. Sauvé par l'opposant au régime d'alors, maintenant devenu dictateur de San Felicio, il en devient le ministre de l'Intérieur et à son tour endosse le rôle du bourreau à Castel Morro, reversant toute sa haine sur les opposants politiques du nouveau régime. Un homme sans pitié et cruel, détestable et redouté, qui pourtant fascine Andrieu, certain d'avoir rencontré ce que l'espèce humaine peut engendrer de pire.
Christian Lehmann floute avec talent la frontière du Bien et du Mal, décrivant la fascination d'Andrieu comme une addiction malsaine et pourtant une opportunité inespérée pour le réalisateur de refaire parler de lui. Le lecteur voit bien qu'il perd petit à petit son recul, qu'il envisage rapidement le récit du redoutable colonel comme un sujet de film qui lui permettrait d'occuper à nouveau le haut de l'affiche. On sent arriver l'arrangement politique, le compromis qui tend à la compromission, on les anticipe et pourtant on aimerait tellement que le réalisateur ne tombe pas dans le piège si grossier tendu par le bourreau narrateur. C'est tout à la fois dérangeant et familier, et mis en mots avec talent.
Ce roman est une réflexion sur les différents visages que peut prendre l'immoralité, cette déclinaison du Mal si courant de nos jours, une sorte de "pense-bête" citoyen pour nous rappeler que la recherche de la réussite, que nos intérêts ou nos ambitions ne peuvent excuser le reniement de certaines valeurs. Et la réalité n'est jamais loin.
Citation
C'est un bourreau, ne cessais-je de me répéter. C'est un bourreau. Mais ces mots n'avaient plus de signification.