Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
Georges Simenon (sujet d'ouvrage)
Charles Exbrayat (sujet d'ouvrage)
Paris : Le Nouvel Attila, septembre 2015
120 p. ; 21 x 15 cm
ISBN 978-2-37100-012-4
Interlocutrice décoiffante
"Moi qui n'aime pas les romans policiers" affirme Geneviève Peigné dans L'Interlocutrice, et c'est peut-être bien là qu'elle aurait dû chercher à comprendre ce qui est pourtant pour elle l'incompréhensible : pourquoi la mort de sa mère l'a-t-elle laissée exsangue et avide de la (re)connaitre à travers vingt-trois ouvrages de sa bibliothèque. Vingt-trois ouvrages de littérature policière qu'Odette, femme de Henri, institutrice à la retraite, ancienne mannequin d'un mètre quatre-vingts soutenant une chevelure blonde, a au fil des derniers mois de sa vie lus, relus, re-relus (jusqu'à la page cent vingt), raturés, corrigés, annotés, enrichis de sa prose maladive, angoissée et tourmentée. Odette est morte à quatre-vingts ans. Son mari quelques mois plus tard. Lui, le soutien indéfectible coupable de ne lui avoir offert que des fleurs pour son ultime anniversaire. Odette, figure à la limite schizophrène qui se reconnait dans Les Vacances d'Hercule Poirot d'Agatha Christie chez ce personnage d'Odell ou encore chez celui d'Orelle dans L'Homme de Barberine de Charles Exbrayat.
Pendant cent vingt pages, l'auteur alterne ses réflexions et les notes de sa mère dans un texte intimiste et cathartique épuré. Certains passages s'apparentent à de la poésie, à des haïkus. Seule la fin sera foudroyante et compacte. Trois pages noircies d'une noirceur folle. Mais de cette lecture ne subsiste que la culpabilité de Geneviève Peigné de n'avoir su être correctement présente au moment du lent déclin d'une mère dont les soucis paraissent bien futiles : penser à aller faire pipi. Se dire qu'il reste deux heures entre le moment où l'infirmière la quitte et où son mari revient. Futiles ? Angoissantes, flippantes, oui ! Car le livre-roman joue sur le registre de notre peur devant l'inconnu, de cet écran noir comme ne le cesse d'écrire Odette. La maladie d'Alzheimer trouve ses victimes au hasard. Nul doute que parmi les lecteurs de cet ouvrage il s'en trouvera pour avoir des parents, des proches, qui ont (eu) cette terrible maladie. Et là ça nous ramène forcément à notre propre fragilité.
À vrai dire, ce livre-roman n'est pas un mal. Espérons qu'il a rempli son office auprès de son auteur. Pour l'amateur de romans policiers, en revanche, mise à part l'omniprésence du dédain du roman policier et le refus d'admettre une évidence crasse - le roman c'est la vie, et il y a de bons polars, voire de très bons, comme il y a de mauvais autres romans, voire de très mauvais -, il faudra pardonner à Geneviève Peigné ses approximations et erreurs - Simenon n'est pas un auteur du "Masque jaune", le lieutenant de la série télévisée se nomme Columbo et non Colombo, et l'expression des Cinq dernière minutes du commissaire Bourrel est "Bon sang, mais c'est bien sûr !" et non "Bon Dieu". Autant de preuves s'il en fallait pour affirmer qu'elle aurait dû s'intéresser de plus près et de son vivant à ses vingt-trois romans qui ont permis à sa mère de s'évader et de produire une œuvre graphique attirante et angoissante. On peut d'ailleurs, et c'est là le petit plus de la mise en page, s'en rendre compte à la lecture des scans de deux passages tirés de Quand Mario reviendra d'Exbrayat et de Prise de tête de Liza Cody. La liste des romans ainsi personnalisés et appropriés est également présente en fin de cet ouvrage d'exactement cent vingt pages, comme le nombre de pages que lisait quotidiennement Odette avant de recommencer de zéro chaque nouveau jour. Mais L'Interlocutrice est surtout l'occasion de se replonger dans une certaine littérature...
Citation
Si tu avais davantage parlé avec Odette, aurait-elle moins perdu les mots ou pas eu besoin d'aller les chercher dans toutes ces histoires de meurtres, de détectives, d'enquêtes ? C'est très intelligent et plein d'initiative de sa part d'aller s'adjoindre un détective pour récupérer les mots dont elle a besoin.