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La Mort entre les lignes
Grand format
Inédit
Tout public
Paris : Le Seuil, septembre 2015
440 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-02-114008-8
Coll. "Policiers"
Sous les ors du franquisme
Lorsque les auteurs de romans policiers ont tenté d'introduire dans leur romans dans une perspective de reconstitution d'une période historique, il y eut de nombreuses tentatives, et l'un des fleurons les plus importants a été la collection spéciale "Grands détectives" qui existe toujours chez 10-18. Certains auteurs se sont même plus particulièrement intéressés à des périodes complexes de notre histoire contemporaine. C'est ainsi qu'une pléthore de romans raconte la vie de policiers sous l'ère soviétique qu'elle soit stalinienne ou quasi-contemporaine. La période nazie a également été revisitée à plusieurs reprises (ne citons que Philip Kerr et sa série impeccable). Pourtant, la guerre d'Espagne a été la matrice des régimes autoritaires et totalitaires du XXe siècle, l'endroit où s'est fabriquée la première guerre chaude entre les deux blocs, de manière "feutrée". Or, en dehors des auteurs espagnols, peu de textes s'intéressent au franquisme. Extrêmement rigide de l'extérieur, conservateur et moraliste, le régime a aussi été, outre les nombreuses tortures et autres exactions commises au nom de grands principes, celui des compromissions, des bagarres de clans, des luttes intestines entre les différentes factions plus ou moins réactionnaires de la péninsule ibérique. Et voici que débarque aux éditions du Seuil cet étrange roman écrit à quatre mains, La Mort entre les lignes. Pourquoi étrange ? Parce qu'il est l'œuvre d'une Espagnole et d'une Allemande, ce qui est fort rare.
Rosa Ribas et Sabine Hofmann nous plongent à Barcelone au début des années 1950, et le franquisme n'a pas été balayé, en même temps que les autres régimes fascistes par la fin de la Deuxième Guerre mondiale. La situation reste tendue car les Européens en pleine reconstruction, se méfient encore de ce voisin et son économie continue de stagner. Dans les montagnes et en ville, une opposition républicaine armée continue de survivre tant bien que mal. Les fêlures entre modernistes et réactionnaires du régime s'accentuent. Au moment où l'Espagne revient dans le concert des nations en organisant le Congrès eucharistique, une grande manifestation chrétienne sur son sol, il convient de faire le dos rond et de présenter la meilleure image de marque possible. C'est dans ces conditions que survient la mort d'une riche veuve bourgeoise de la ville. Rapidement, le gouverneur et le procureur entendent clore cette affaire qui pourrait s'avérer source de scandale mais en jouant la carte de la transparence et de la collaboration avec la presse, et ce malgré les mauvaises mœurs de la veuve qui avait un gigolo qui a lui-même disparu. Chargé de l'enquête, l'inspecteur acariâtre Castro sent bien qu'il marche sur des œufs et, sans connaître les tenants et aboutissements, il comprend que l'affaire doit être enterrée. En parallèle, Ana une journaliste qui débute doit écrire des papiers sur l'enquête, et elle se rend vite compte qu'elle recèle nombre d'aspects plus sombres qu'il n'y parait. Il ne s'agirait pas d'un simple cambriolage qui aurait mal tourné. Avec l'aide de sa cousine Beatriz, une universitaire qui vivote car elle est loin d'être en odeur de sainteté auprès du gouvernement, elle va tenter de découvrir la vérité.
La reconstitution historique (avec des données que nous ne connaissons plus : la pénurie d'après-guerre encore vivace, des maquis qui continuent à lutter), la chape de plomb qui pèse sur les administrations et sur les êtres, les luttes de factions, la tension entre réactionnaires de grand cru et ceux partisans d'encore plus de répressions est bien dessinée. Les angoisses et la vie quotidienne sont également décrites avec soin. L'enquête est de facture plus classique mais permet de déballer, comme dans les grands classiques américains, la corruption et la mauvaise foi des élites, la distance énorme entre les vertus que l'on vante sur le devant de la scène et les pratiques immorales que l'on se réserve pour ses propres plaisirs.
Citation
La police usait de méthodes brutales et efficaces, et, depuis qu'il était à Barcelone, l'inspecteur Castro avait acquis la réputation d'être le meilleur.