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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'espagnol (Chili) par Isabel Siklodi
Paris : Asphalte, novembre 2015
200 p. ; 20 x 15 cm
ISBN 978-2-918767-55-8
Coll. "Fictions"
Les chiens sont lâchés
Boris Quercia est un auteur qui a du chien, et un talent indéniable pour le mettre au service de son imagination fertile qui, à n'en pas douter, est aussi alimentée par la ville elle-même de Santiago du Chili avec tout ce qu'elle détient de sordide, mais également de beau. Il est étonnant de se confronter à un tel roman : il est d'une noirceur crasse et pourtant se conclue de manière étrangement positive, voire bienveillante pour son personnage principal que l'auteur a durement et salement malmené durant deux cents pages flamboyantes.
Santiago Quiñones, le flic de Boris Quercia est un héros que l'on apprend à aimer même si ses manières ne sont pas des plus courtoises, ni des plus tendres. Et ce aussi bien dans sa vie professionnelle que dans sa vie de couple. Dès le début de Tant de chiens, il va avoir à faire à une horde en tous genres de canidés revêches. Tout d'abord, c'est lors d'une perquisition dans une maison tenue par des narcotrafiquants. Son partenaire, Jiménez, y laisse cruellement sa peau, truffé de balles et égorgé par un rottweiler. Lui s'en sort physiquement indemne et moralement touché. C'est le moment choisi par deux ripoux des affaires internes (qu'aucun flic de fiction digne de ce nom n'apprécie) pour faire leur apparition. Eux sont lâchés à ses basques telle une meute de chiens enragés assoiffés de sang. Santiago Quiñones ne le sait pas encore, mais ces deux-là vont comploter pour le faire plonger sur fond de recel de drogues. Cela dit, ces deux ripoux tiennent plus de la sangsue que du chien. Ils s'agrippent néanmoins pareillement à leur proie. Il ne restera qu'à en trouver la raison. Et la raison se trouvera du côté d'un réseau d'enlèvements et de prostitution forcée de jeunes mineures dans lequel sont impliqués des commissaires, des hommes politiques, des juges : bref tout le gratin phallocrate chilien. Mais que vient faire la mort de Jiménez dans cette histoire ? C'est toute la question... Pour son enquête qui le trimballera directement d'une église à l'antre d'une secte, Santiago Quiñones va pouvoir compter sur des alliés de circonstance au sein-même du commissariat dans lequel il est devenu persona non grata - son collègue Marcelo et Angelica du service des archives.
Comme souvent, dans la littérature et plus particulièrement la littérature hispano-américaine, les personnages sont mus par leurs sentiments. Santiago Quiñones en a pour Marina (Marina, Marina...), son amoureuse d'infirmière, et pourtant il passe ses journées à la tromper. Il baise à droite et à gauche, il se fait tailler des pipes de haut en bas en sniffant de la coke, il croise des souvenirs qu'il extirpe du passé à la force de son sexe en érection. La rupture consommée, loin de s'apitoyer sur son sort, il entame une reconquête de haute lutte. Faut dire que son métier d'enquêteur le met à dure épreuve. Dans Tant de chiens, il en voit des vertes et des pas mures. Il se fait seriner par le beau-père d'une voisine d'enfance. Il en perd quelques centimètres d'intestins et en gagne des anti-inflammatoires qu'il fait passer avec de l'alcool et de la drogue. Il croise des personnages bons, d'autres particulièrement méchants. Il croise aussi et surtout des victimes en puissance. Quelque fois un chien dont il ne sait que faire. S'il aime baiser, il n'aime pas se faire baiser.
Au fil des pages, à mesure que l'étau autour de lui se resserre, la tension s'accentue et l'on se prend d'affection pour cet homme qui s'érige en justicier uniquement parce que certains ne le laissent pas en paix. Et puis dans un final magistral sur fond de revanche, Santiago Quiñones se résout à une justice faite de compromissions. Bien sûr, l'écriture est au diapason de cette absence de foi en la justice. Poétique et noire. Boris Quercia est le digne héritier de Luis Sepùlveda. S'il faut chercher une filiation à son héros, alors il vaut mieux aller voir du côté de Mario Condé, le flic désabusé du Cubain Leonardo Padura.
À Santiago du Chili, Santiago Quiñones a survécu mille déboires sous un véritable temps de chiens. C'est peut-être pour ça qu'on l'aime ce héros romantique des temps modernes !
Citation
De temps en temps, je me dis que les seuls qui survivent dans cette ville sont les fumeurs, la fumée qu'on aspire doit nous immuniser contre la pollution.