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Grand format
Inédit
À partir de 12 ans
Montrouge : Bayard jeunesse, juin 2009
176 p. ; 20 x 13 cm
ISBN 978-2-7470-2386-3
Coll. "Millézime"
L'aventure est au bout du quai de la gare...
À 14 ans, Simon est l'aîné d'une famille nombreuse. Préparer les biberons, changer les couches... rien de tout cela n'a de secret pour lui : sa mère est seule à la maison - plus de père depuis la naissance du dernier petit frère - et, comme elle travaille toute la journée, les soins de la marmaille incombent souvent au jeune garçon. Jusqu'au jour où il craque et s'enfuit de chez lui. Il saute dans un TGV sans prendre de billet, sans trop savoir où il va aller. Sauf qu'il ira vers le Sud, quelque part où il fasse meilleur qu'à Lille. L'arrivée du contrôleur le pousse à descendre à Valence. Se retrouver seul dans une ville inconnue avec vingt euros en poche, c'est déjà une grande aventure pour un adolescent. Quand, en plus, une jeune femme vous demande de garder son enfant pendant qu'elle va acheter des cigarettes et qu'elle ne reparaît pas, vous laissant en plan avec un marmot renfrogné, cela commence à prendre mauvaise tournure... Heureusement, un vieil homme affable, à la large face barbue et souriante, survient au bon endroit et au bon moment - M'sieur Victor, brocanteur de son état.
M'sieur Victor préfère héberger les deux enfants plutôt que d'avertir les gendarmes. C'est le début d'une petite vie de famille qui s'installe, à laquelle vont s'agréger Mme Deniau, puis Élizabeth Palansky. On se régale de melon bien frais, d'olives fruitées, de vin gai - on ranime le passé et, là, au détour de quelques babioles, de vieilles douleurs inapaisées reviennent à la surface. Qui confrontent Simon à ses remords. Et tandis que lui vient à portée de main cette autre vie à laquelle il aspirait en quittant Lille, son mensonge initial lui barre la route...
Dès les premières phrases, on s'attache au narrateur, cet enfant perdu mais débrouillard, courageux, qui n'a cependant pas assez d'égoïsme pour se débarrasser du bébé qu'une inconnue lui a abandonné. Il raconte son histoire au présent, en toute simplicité - le ton est juste, l'adhésion au récit est d'autant plus immédiate que son déroulement, linéaire et structuré en courts chapitres, se suit sans difficulté.
Si l'on retrouve à bien des égards la patte dont Pascal Garnier marque ses romans pour adultes - personnages aux destins cabossés, images originales et traits d'humour - on est frappé par l'émouvante justesse de l'écriture, prose et dialogues.
Je me souviens de l'auteur me disant qu'écrire pour les jeunes n'impliquait pas forcément qu'on ait l'habitude de les côtoyer ou que l'on connaisse leurs codes, leur langage, mais qu'il suffisait de retrouver le regard de celui qu'on était à leur âge... Je ne doute pas un instant que Pascal Garnier a eu quatorze ans pendant qu'il écrivait M'sieur Victor - sans quoi le "je" ne sonnerait pas aussi bien.
Pas d'épées laser cinglant l'air ni de voyages intergalactiques, pas de monstres à abattre ni d'avatars à poursuivre dans quelque Second life de derrière le web dans ces pages. Elles recèlent un monde qui pourtant fera rêver les jeunes lecteurs... et leurs parents. Car l'univers de M'sieur Victor est bien réconfortant : le vieil homme qui aborde Simon est aussi généreux que son bon sourire le donne à penser, les blessures de la vie se cicatrisent dans un certain bonheur, et le héros-narrateur se livre, sans le payer trop cher, aux petites transgressions dont on rêve tous.
C'est un roman-refuge où l'on a plaisir à se plonger : la part d'aventure qu'il contient suffit à décoller d'un quotidien ennuyeux, et beaucoup d'enfants apprendront, à travers Simon et M'sieur Victor, à goûter les p'tits bonheurs simples que chaque jour met à leur portée mais auxquels leurs parents ne les ont peut-être pas initiés... faute de savoir eux-mêmes les saisir.
Reste que, dans la "vraie vie", tous les inconnus souriants ne sont pas des M'sieur Victor. La prudence la plus élémentaire intime de se rappeler à tout instant qu'il y a des sourires et des mains tendues aussi dangereux que des pièges à loup. Mais il est bien agréable de l'oublier le temps de ce roman...
Citation
J'en ai presque les larmes aux yeux de ce bonheur tout neuf, de cette famille improvisée qui ne date que de quelques heures.