Contenu
Le Sang dans nos veines
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin
Arles : Actes Sud, octobre 2015
826 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-330-05634-6
Coll. "Actes Noirs"
Dans les remous de l'histoire
Chaque pays a sa propre histoire et fonctionne dans des temporalités parfois différentes. Prenez l'Espagne. Elle a eu de gros problèmes avec ses colonies nord-africaines dans les années 1920, soit bien avant que la France ne se trouve confrontée au problème de la guerre d'Algérie. Par contre, dans la métropole espagnole, la situation politique ressemblait encore au XIXe siècle français : début du socialisme, formation des syndicats, pulsions anarchistes, groupes réactionnaires et nobiliaires au sein de l'armée, maison closes où les notables se retrouvaient, omniprésence du clergé. Ce premier roman imposant de Miquel Bulnes se veut un brassage de toutes ces données, à travers une fresque feuilletonesque où les classes sociales se côtoient, se mélangent parfois, et souvent s'observent en chien de faïence. Quel meilleur moyen que le roman policier pour servir de jointure ? Aussi, tout va commencer avec une femme charlatan qui prétend utiliser des enfants morts pour obtenir des faveurs ou fabriquer des médicaments. Le seul problème c'est qu'elle fabrique en direct ses morts. Surtout, elle tient un journal de ses interventions magiques, un journal qui attire bien des convoitises, après son arrestation et sa mystérieuse mort en cellule. Des années ont passé. Ce journal va reparaître pour entrainer les personnages dans une ronde mortifère - un commissaire de police, ancien héros de la guerre, sa domestique qui se cache de ses anciennes compagnes prostituées, un anarchiste qui joue du pistolet, un syndicaliste qui manipule dans l'ombre et des comploteurs socialistes, francs-maçons ou liés aux mouvements pré-franquistes.
La première partie du roman se déroule dans les colonies, et offre des moments de bravoure dans la description de l'armée espagnole, de sa bureaucratie et de ses errements. Puis le roman regagne la Métropole où la conséquence des défaites militaires joue sur la vie politique. Ces défaites provoquent des actions et réactions des différents mouvements politiques qui entendent profiter de l'occasion pour ébranler le pouvoir d'un clan ou d'un autre. C'est à ce moment qu'un commissaire est chargé d'enquêter sur la mort suspecte d'un notable dans une maison close. Il va ainsi se trouver au cœur d'un scandale politique. Pour le faire taire, certains tentent de le tuer pendant que d'autres veulent le coincer en faisant douter de son engagement militaire. Le Sang dans nos veines est un roman qui remplit parfaitement sa mission. C'est un ouvrage historique de qualité qui reconstitue l'Espagne des années 1920 (l'état d'esprit s'apparente quelque peu à celui de la France du tournant du siècle avec ses anarchistes, les affrontements et les débats politiques des socialistes entre jouer le jeu démocratique ou prendre le pouvoir). Il s'y ajoute une intrigue policière noire dans laquelle des complots se cachent derrière d'autres complots, où la possession d'un carnet peut ébranler le système politique, et une coupe de la ville entre les quartiers chauds et populaires, et les salons de thé de la haute bourgeoisie, entre les douceurs feutrées des cabinets ministériels et les sous-sols où l'on prépare les tunnels du métro.
Miquel Bulnes joue également intelligemment sur les décors. Si l'intrigue est centrée sur la capitale, le romancier nous entraîne aussi en province, dans les coins reculés, dans la ville de Barcelone, une ville qui rêve déjà d'autonomie, ou dans les grands espaces coloniaux. Véritable photographie d'une époque, le roman se veut ample et sa pagination n'est pas une boursouflure mais l'expression d'une ampleur de vision, d'une grande fresque de qualité, se hissant parmi les grandes sagas du genre.
Citation
Le doux froissement des billets de banque fera trembler l'Espagne bien plus que les explosions retentissantes des bombes artisanales.