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Inédit
Tout public
Traduit du norvégien par Hélène Hervieu
Paris : Gallimard, octobre 2015
528 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-07-014740-3
Coll. "Série noire"
Le paradoxe de la maîtrise
Il s'agit de Sonny Lofthus, la trentaine et en prison depuis douze ans. Il est le fils d'un certain Ab, un flic qui s'est suicidé en laissant une lettre par laquelle il avoue être corrompu, et il se ménage une existence de drogué bien tranquille, en prison, en rendant de menus services tels qu'assumer la responsabilité de certains crimes - par exemple le meurtre de la femme de l'armateur Morsand, assassinée par son mari pendant une permission de sortie qui a été opportunément accordée à Sonny, ou encore, jadis, ceux d'une jeune Asiatique morte d'overdose et d'un dealer serbe. Les autorités policières et carcérales y trouvent bien entendu leur compte. L'aumônier Per Vollan a longtemps servi d'intermédiaire dans ce trafic et procuré à Sonny la drogue dont il a besoin, mais il est maintenant pris de remords et désire arrêter ce rôle de composition. Sonny est informé par un codétenu que son père a en fait été assassiné par un certain Nestor, impitoyable proxénète qui se prétend ukrainien mais est en fait norvégien, après avoir été trahi par un certain Johannes. Sonny refuse alors d'endosser le dernier crime et parvient à s'évader (en empruntant l'uniforme d'un gardien en congé) tandis que l'aumônier est retrouvé noyé dans la rivière – mais un témoin a vu les hommes de main de Nestor l'assassiner. Sonny (qui se fait maintenant appeler Stig Berger) peut alors entamer le long itinéraire de sa vengeance. Après avoir fait peau neuve, il va loger au refuge Ila pour drogués et SDF. Il abat d'abord Agnete Iversen, ancienne gestionnaire de fortunes, lui vole ses bijoux mais les jette. Malgré ses précautions, il a laissé une empreinte de chaussure sur une plate-bande. Pendant ce temps, Nestor propose à l'agent Simon Kefas une affaire qui lui permettrait de financer la très couteuse opération des yeux d'Else, sa femme. Puis Sonny attaque des trafiquants de Superboy et assassine le dealer avec sa propre poudre. Mais il laisse sur place des traces typiques d'un gaucher. L'étau se resserre donc sur lui, tandis qu'il enferme un des hommes de main de Nestor dans un congélateur mais il parvient encore à éviter d'être repris, kidnappe Nestor et l'oblige par la torture à lui donner l'adresse où il cache les filles qu'il importe avant de le livrer à des chiens d'attaque qui le dévorent, tandis que les filles sont délivrées par l'inspecteur Simon Kefas, en dépit de l'ordre contraire de sa hiérarchie. Puis il va prendre en otage Arild Franck, dans son bureau de directeur de la prison, pour lui faire cracher le morceau à propos de la mort de son père et échappe de peu à un guet-apens. Et ainsi de suite, jusqu'à un dénouement qui sacrifie à l'inévitable rituel de la scène de violence finale et ménage l'inévitable surprise – sans éviter le piège du mélodrame, pourtant.
Ce roman est certes ambitieux et fouillé, mais est-il pour autant "magistral" comme le proclame le bandeau ? Le problème, avec ces affaires de drogue, c'est qu'il faut toujours en remettre dans le sordide et le gore pour ne pas être dépassé par la concurrence. Cela donne une intrigue longue et compliquée, avec beaucoup de sous-intrigues qui s'entrecroisent. Sans compter le roman d'amour qui s'y insère. On y trouve le bon flic (en bute à des "ripoux" comme Fredrik Ansgar, Pontius Parr et Arild Franck), dont le côté humain est accentué par la cécité menaçante de sa femme. Le personnage (fort secondaire) de Pelle, le chauffeur de taxi, est aussi très émouvant. Tout cela est très bien fait et mené d'une main sûre, mais la lecture n'en est ni facile ni reposante. Et nul n'est parfait, car l'auteur commet une erreur de débutant : un homme armé ne peut pas ligoter à lui seul quelqu'un qu'il tient en joue, comme le fait Sonny p. 352. L'histoire des brosses à dents est du genre de celles qu'on ne peut trouver que dans les polars, la découverte du journal intime d'Ab est un peu facile, le thème du jumeau est surexploité, la fragmentation des chapitres finit par tourner au procédé de bas étage et l'excès de subtilité dans l'enchevêtrement des faits par lasser. Ici comme ailleurs le mieux est l'ennemi du bien et Jo Nesbø aurait peut-être dû se méfier un peu plus de sa maîtrise du genre.
Citation
Sa femme avait raison, il était beaucoup trop gentil pour ce monde.