Les Ombres innocentes

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Roman - Policier

Les Ombres innocentes

Social - Rural MAJ mardi 19 janvier 2016

Note accordée au livre: 3 sur 5

Poche
Inédit

Tout public

Prix: 13 €

Guillaume Audru
Saint-Étienne : Le Caïman, décembre 2015
280 p. ; 19 x 12 cm
ISBN 978-2-919066-27-8
Coll. "Polars"

Cher pays de mon enfance

Lorsque les journaux parlent de misère sociale, ils évoquent souvent les grands ensembles, les barres urbaines, les banlieues au bord de l'explosion. Mais, rarement, le phare se positionne sur les campagnes, sur ce monde rural qui a fait l'objet de Profils Paysans, la superbe série documentaire de Raymond Depardon. Pourtant il y aurait à en dire. De la misère sociale, il y en a aussi dans nos anciennes colonies, celles que nous appelons les DOM-TOM. Ces deux misères ont été l'objet pendant les années 1960-1980 d'une sorte d'opération de transfert étrange, peu connue du grand public, mais que Guillaume Audru évoque ici avec soin, pudeur et distanciation : l'envoi en métropole de jeunes orphelins réunionnais afin d'être adoptés par des familles rurales, l'idée étant de repeupler ces régions et de "créer" de futurs paysans. Et dans Les Ombres innocentes, l'ancien commissaire Sarrabé est au courant, lui, car il a dû enquêter en milieu rural et s'est bien rendu compte que Marcel Chauffour, un paysan, avait maltraité les jeunes enfants passés par chez lui. La dernière Lucie, a même sombré dans la folie et est actuellement "soignée" dans une maison spécialisée, dont justement il paie la pension, car il a des remords de ne pas avoir pu intervenir à temps. Lorsque, de nos jours, Chauffour est battu et laissé pour mort (mais il y a toujours de la chance pour la charogne), Sarrabé ne peut croire qu'il est tombé dans l'escalier surtout qu'il vit de plain-pied. Quand on découvre également une autre paysanne morte dans des circonstances horribles dans sa ferme, il cherche à relancer l'enquête. En parallèle, il met en branle Matthieu Géniès, un jeune journaliste, pour faire éclater la vérité, mais aussi un gendarme vieillissant et blasé, fatigué mais qui croit encore à son métier et une aide-soignante qui ne supporte pas la façon dont on traite Lucie. Tout ce petit monde va essayer de savoir qui a tué les deux anciens bourreaux d'enfants et tenter de faire se souvenir les Français d'une page peu glorieuse de leur histoire...
Guillaume Audru écrit au diapason de son histoire. S'il laisse la page ouverte à quelques moments plus apaisés (la relation entre l'aide soignante et le journaliste), l'essentiel de son intrigue racle l'os là où ça fait mal. Il s'appuie sur la description d'un monde rural abandonné et qui sombre, entre saletés, boues, délabrement des hommes, des bâtiments et des matériels rendus avec force - un délabrement qui n'épargne pas la société (les services sociaux ont décidé que tout se passait bien pour les enfants réunionnais et ils ferment les yeux sur les déviations du système). Ce délabrement atteint les forces vives de son univers : le jeune journaliste est déconsidéré par son patron qui veut lire des choses gaies dans son journal, le gendarme est houspillé par les supérieurs judiciaires, l'ancien commissaire traîne ses remords, l'aide soignante est mal vue par sa hiérarchie. Pour lutter, d'énormes quantités d'énergie sont dépensées mais en pure perte et, souvent, les protagonistes ne voient que la violence, l'explosion pour répondre à ce flux de négativité qui engloutit peu à peu le monde. Guillaume Audru installe dans son roman Nicolas Jansac. Personnage perdu au milieu de ce livre, le fils d'une paysanne (l'une des victimes) devenu notaire, qui sait beaucoup, mais se tait beaucoup, qui cherche des échappatoires à un univers qui ne lui parle plus. Très symboliquement, il a fui en ville pour ne plus être complice, mais il ne peut s'empêcher de revenir régulièrement revoir sa mère, car on s'attache aux gens, même s'ils sont pervers. On s'habitue aux malheurs du monde. On regarde sa propre survie en oubliant que, sur le mur derrière nous, passent des ombres innocentes.

Citation

Nicolas ne dira qu'il a été malheureux ou que son enfance a été difficile. Juste que sa mère a suivi la voie dure en ce qui concerne son éducation. De rares sourires, des compliments absents.

Rédacteur: Laurent Greusard mardi 19 janvier 2016
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