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Grand format
Inédit
Tout public
300 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 978-2-35887-121-1
Coll. "Territori"
Temps immémoriaux contemporains
S'il a dû commettre une erreur dans sa vie, c'est certainement en décidant de venir s'installer à Limoges. S'il avait eu le bon goût de naître de l'autre côté de l'Atlantique, Franck Bouysse aurait alors pu écrire le même roman se passant dans les zones rurales nord-américaines et Franck Bouysse serait aujourd'hui encensé par la critique. Imaginez le plateau des Millevaches, un plateau semi-désertique de la Corrèze. Dessinez un hameau perdu au milieu de ce désert. Quelques vieux paysans en train de mourir au milieu de fermes qui se lézardent, coincés dans le quotidien de la vie agricole, une vie non choisie, acceptée ou subie. Dans une ferme, Virgile et Judith, un vieil homme et sa femme atteinte d'Alzheimer. Un peu plus bas, l'ancienne ferme du frère de Virgile, mort il y a longtemps. Virgile a élevé Georges, le fils qui vit dans une caravane refusant d'entrer dans la maison de ses parents. Une vie austère. Comme dans un roman du sud-américain profond (ou vosgien à l'instar de ceux de Pierre Pelot), deux éléments vont venir troubler le calme apparent d'une vie minérale. D'un côté, Karl, un ancien boxeur fortement imprégné d'esprit religieux, venu chercher une paix intérieure qu'il a du mal à trouver et, de l'autre, la nièce de la vieille femme qui a fui un mari violent et qui vient troubler cet univers masculin. Au milieu du roman, innocemment, la jeune femme pend son linge et ses sous-vêtements sur les fils à linge et, bien évidemment, cela ne peut que troubler les hommes. Ces deux nouveaux personnages semblent eux aussi archétypaux des romans faulkneriens, non ?
Là où le talent de Franck Bouysse éclate, c'est qu'il sait insuffler de la vie entre ses êtres cabossés, entre deux paroles qui ne peuvent être prononcées, entre deux sentiments qui ne savent comment s'exprimer. Certaines perspectives sont renversées : l'auteur nous offre une superbe scène d'amour entre les deux personnes âgées au cœur du roman. Et que dire de son boxeur qui ressemble au pasteur de La Nuit du chasseur, le roman de Davis Grubb, mais un pasteur qui parviendrait à trouver sa rédemption ? Dans Plateau, on s'arrête pour évoquer la vie des animaux, pour décrire un bout de forêt, pour raconter ce que l'on fait d'un veau mort-né ou d'une chasse au ragondin, pour regarder les photos du passé, juste pour décrire un omnibus qui s'éloigne de la gare. Le vieil homme fait un détour pour aller se recueillir sur la tombe esseulée d'un ancêtre tué car il a été accusé de sorcellerie il y a bien longtemps. Les ombres d'actions peu glorieuses de la guerre passent, comme un coup de vent froid. Très organique, Franck rend, par un style qui sait prendre son temps pour informer, compte du froid qui mordille les corps, de la joie d'un petit acte anodin, du plaisir d'une simple présence entre deux personnes, sur un coin de table. Plateau raconte un monde qui se meurt, les armes à la main, sans rien renier de son humanité profonde, de sa volonté d'être un humain, avec ses joies et ses douleurs, avec ses rêves et ses remords.
Finalement, la Corrèze c'est aussi enthousiasmant que le Montana ou le Deep South. Tout est une question de regard, de style et de la facilité d'un auteur à nous parler des choses essentielles, sans esbroufe, juste avec une voix qui parle à notre oreille et nous entraîne. Franck Bouysse est un grand styliste et un magnifique faiseur d'histoires.
On en parle : Carnet de la Noir'Rôde n°55
Citation
Par delà la terre des Condamines, dans un petit val ressemblant à une dalle de prairie coulée entre un coffrage fait de jeunes chênes et de genêts à balai, des animaux pesants émergent de la brume et se dirigent vers une mangeoire en ferraille recouverte de tôles ondulées rouillées.