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Le Chant des dunes
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (Irlande) par Jacques Martinache
Paris : Presses de la Cité, février 2016
492 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-258-13378-5
Coll. "Sang d'encre"
Se reconstruire sur des sables mouvants
Nous avions laissé Charlie Parker mal en point, blessé et convalescent après un attentat commis sur sa personne. Quelques mois ont passé mais ses blessures cicatrisent lentement. Pour l'aider à revenir au meilleur de sa forme, ses amis lui proposent de se reposer à Boreas, un village du Maine au bord de la mer, à l'écart de tout. Mais peut-on se remettre dans une ville balnéaire qui inexorablement disparaît démographiquement et économiquement, dans un endroit construit au bord des dunes et qui en a la stabilité de sables mouvants ? De la même façon qu'un individu se rétablit difficilement de ses blessures, une société a du mal à se laver de ses errements passés. Parmi les tâches indélébiles jetées sur le monde, il y a le système concentrationnaire nazi. Et, justement, l'on vient d'arrêter un homme qui a fait partie de la machine de mort hitlérienne et qui, malgré sa nouvelle vie depuis la fin de la guerre aux États-Unis, a été retrouvé et arrêté. Quel rapport y a-t-il avec cet homme, retrouvé mort noyé sur la plage à proximité de la maison où se repose Charlie Parker ? Pourquoi a-t-il des tatouages de numéro sur ses bras comme en avaient les déportés ?
Le roman oscille entre un mal humain, fait de violence, de cynisme (le récit se base sur un camp de concentration particulier où l'on faisait croire aux juifs riches que l'on allait les aider, le temps qu'ils "dépensent" tout ce qu'ils avaient réussi à cacher aux autorités allemandes), de meurtres et de sang et un mal plus métaphysique, plus insidieux. Pour aider le détective Charlie Parker (et dans ce volet de ses aventures, cette aide sera précieuse), il y a sa fille morte depuis quelques années et qui revient des morts pour lui donner des conseils ou même l'aider physiquement à surmonter les épreuves. Charlie Parker est sûr qu'il ne sombre pas dans la folie, car son autre fille voit aussi sa demi-sœur morte...
Cet aller-retour perpétuel entre les différentes versions du Mal se répètent dans les détails du roman, entre un "impresario" de tueurs à gages qui attend la mort et justement "le collectionneur d'âmes" qui le recherche, entre les tortures qu'infligèrent les nazis durant la guerre et celles qu'ils continuent à perpétuer pour continuer à vivre en paix. Cette guerre du Bien et du Mal autour de Charlie Parker se poursuit même avec des mises en abyme car ses amis qui le soutiennent sont parfois eux-mêmes enclins à la violence, et ils règlent leurs compte de manière sauvage, sans compter les fantômes qui aident le détective car, s'ils semblent lui donner un coup de main, ne sont-ils pas pour autant aussi amicaux que l'on pourrait le croire - si c'était le cas, pourquoi cette angoisse diffuse qu'ils suscitent même lorsqu'ils font une "bonne" action ?
L'on retrouve donc avec plaisir cet univers très particulier, distillé avec soin et un sens aigu du suspense par John Connolly, cet alliage subtil entre une intrigue policière de bonne facture (ici centrée autour des derniers "protecteurs" des derniers nazis vieillissants) et des éléments fantastiques qui créent une ambiance inhabituelle, en de subtiles touches plus proches du fantastique à la Henry James qu'à des romans gore contemporains. Le Chant des dunes continue donc une série intéressante à l'intérieur d'une œuvre so British, teintée de noirceur plus américaine.
Citation
L'économie se redressait peut-être, mais Boréas demeurait enlisée dans son bourbier : une mort lente, pénible, pour une ville déjà à l'agonie, étouffée dans un écosystème défaillant.