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Un sale hiver
Grand format
Le Seuil, avril 2016
278 p. ; 23 x 14 cm
ISBN 978-2-02-113566-4
Coll. "Policiers"
L'intranquille
Nul ne sait si deux auteurs suffisent pour créer une école, mais entre Ken Bruen et Sam Millar, cela pourrait faire un bon début. Les deux écrivains s'inscrivent dans la grande tradition de la littérature noire américaine. Chacun des chapitres d'Un sale hiver porte d'ailleurs un titre de livres ou de film qui sont autant d'hommages aux maîtres du genre. Dans cette intrigue, on va d'ailleurs rencontrer un détective privé qui vivote et qui se trouve confronté aux misères et splendeurs de la ville dans laquelle il exerce. Karl Kane ne déroge pas aux canons du genre du détective dans la littérature : il n'a pas forcément beaucoup de clients, il a des règles morales inflexibles et il n'hésite pas à régler les comptes lui-même lorsqu'il en ressent le besoin. Mais son enquête va le faire traîner à travers Belfast de bars louches où des petits dealers préparent leurs coups tordus jusqu'aux grosses villas qui surplombent la ville. En cela, Karl Kane est un privé typique, mais il n'a pas les vapeurs de ses grands anciens. Il entretient ou tente d'entretenir une relation torride avec sa secrétaire. Surtout, il se frotte aux forces de police qui sont aussi corrompues qu'ailleurs, mais il n'hésite pas à accumuler les preuves pour pouvoir les faire chanter si besoin est.
Dans Un sale hiver, nous nous trouvons face à une intrigue classique. D'un côté des enquêtes traditionnelles pour comprendre qui se cache derrière un tueur en série particulièrement bizarre, et la recherche d'un oncle disparu depuis quelques temps dans une petite ville d'Irlande du nord. De l'autre, les démêlés de Karl Kane avec certaines forces de police qui usent et abusent de leur pouvoir. Tout commence avec ce pauvre Karl Kane qui se réveille pour découvrir une main coupée sur le pas de sa porte. Il y a plus réjouissant pour accompagner son petit déjeuner, même en Irlande ! Comme ce n'est pas la première main que l'on découvre, il décide de se lancer sur la piste de ceux qui lui ont laissé ce cadeau (d'autant plus qu'il y a une récompense à la clé).
Entre deux bagarres, deux verres d'alcool, deux scènes rudes (notamment le moment où Karl Kane doit se rendre dans un abattoir, ce qui rappellera à certains des scènes du même calibre sous la plume du même auteur) et des moments d'un cynisme noir réjouissant, Sam Millar parsème son intrigue de réflexions sur l'humanité vacharde, sur des tentatives de solidarité, sur le poids de la religion ou du pouvoir. Malmené, caillassé, pendu dans une cage où habituellement on tue du bétail, le détective doit faire preuve d'humour pour ne pas sombrer et continuer à vivre malgré tout. La présence de sa secrétaire-amante-infirmière qui sait aussi répondre avec humour à ses angoisses, et l'a cohorte des personnages secondaires, esquissés en quelques coups de stylo, mais terriblement vivants (un drogué qui prostitue sa petite sœur, un policier honnête, un homme qui veut se venger), tout concourt pour faire de ce roman et de cette série une valeur, certes un peu calibrée, mais sûre et intéressante.
Citation
Il laisserait Naomi lui faire la gueule une journée, et puis, quand sa colère serait tombée, il lui donnerait une paquet de jolis papiers avec le chiffre cinquante écrit dessus. Elle aimait bien ce genre de jolies choses.