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Images fantômes
Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Brigitte Mariot
Paris : Super 8, août 2016
424 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 978-2-37056-065-0
Insularité gothique
Chaque génération voit ses avant-garde essayer de se confronter aux défis artistiques, tenter de nouvelles audaces et se réclamer d'anciens précurseurs. Cass Neary a explosé en plein mouvement punk, même si, aux États-Unis, on l'a plus qualifiée à l'époque de "Blank generation" et ses photos représentant des paumés dont on ne sait s'ils sont vivants, blessés, agonisants ou même morts, ont eu leur heure de gloire. Mais à force de provocation, d'utilisation de substances chimiques diverses, l'artiste a sombré et vivote dans un New York qu'elle ne reconnaît plus. C'est alors que son agent lui propose de se rendre dans le Maine, l'une région américaine souvent citée dans les romans de Stephen King, et qui semble être le lieu de phénomènes liés au fantastique, aux monstres, aux fantômes, aux puissances surnaturelles. Là, elle doit interroger Aphrodite, une photographe de la génération précédente, liée au mouvement hippie : l'un des mouvements contestataires des années 1960 comme dans une mise en abyme. Cette dernière , après avoir fait scandale, s'est retirée sur une île perdue au large du Maine et refuse tout contact avec la civilisation. En se renseignant, Cass Neary apprend que l'île est le théâtre de nombreuses disparitions, comme si des forces maléfiques trônaient par là-bas. Mais elle désire rencontrer son idole et s'y rend.
Elizabeth Hand raconte son histoire comme une sorte de voyage initiatique étrange et prenant. Quittant la civilisation urbaine, où les seules valeurs semblent être la drogue, la ruine, la déchéance et l'argent, elle nous enfonce dans la forêt, dans une sorte de sauvagerie naturelle, symbolisée par la pluie, la nuit, la brume, les tempêtes et l'ombre constante des arbres. Son héroïne, arrivée au bord de la côte, ne côtoie que des gens bizarres, rustiques, avant de pouvoir gagner la fameuse île. Elle y fréquente un monde encore plus étrange, où de nombreuses disparitions font peur aux indigènes, où la présence d'une ancienne star musicale semble obséder la population locale, la maintenant dans un coin de l'île, comme un pestiféré qui aurait filtré avec des dérives sectaires du "temps des hippies". Sans grand effet gore - le danger semble être l'étouffante vie dans les îles et la présence d'un prédateur gros comme un chat qui surgit partout où on ne l'attend pas -, l'auteure va multiplier les signes d'inquiètude, s'installer dans une angoisse sourde sur fond de motel peu accueillant, de découvertes macabres, de bruits suspects, de personnages en marge qui effraient par leurs paroles ou leurs comportements. Même si les actions de Cass Neary sont parfois étranges (elle cache des clés trouvées sur un comptoir de bar, elle fouille la maison de la photographe), peut-être perturbée car dès qu'elle met le pied sur l'île, elle découvre que la photographe qu'elle doit interviewer n'est pas au courant et refuse de la voir. Lorsque quelques heures plus tard, la police vient l'interroger car la fille du motel où elle séjourné sur le continent a disparu, les choses se compliquent encore.
Si, au final, il y aura une explication rationnelle, Images fantômes décale légèrement le propos. Habituellement, ce sont des écrivains maudits ou des cinéastes sulfureux qui sont au cœur de l'intrigue. Ici, ce sont des photographes qui perdus dans leur quête de la photo ultime tournent l'intrigue du côté d'un fantastique diffus. Peu connue en France, si ce n'est pour des novélisations - Star Wars, X-files ou Millénium, Elizabeth Hand est un écrivain qui a commencé une série avec son héroïne artistique Cass Neary comme personnage central. Ce premier volet pourrait être suivi d'autres, ce qui ne serait que justice, car Images fantômes s'avère être un récit gothique et fantastico-policier de bonne tenue, allusif plus que démonstratif, dans la tradition classique du genre, servi par une écriture elle aussi classique et efficace.
Citation
Il avait vraiment construit un pont entre les mondes et personne en dehors de nous deux ne l'avait jamais vu. Il m'incombait désormais de porter le souvenir des morts sur mon dos.