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Moineaux de nuit
Dans les années 1970 et 1980, les auteurs de roman policiers s'intéressaient aux classes moyennes. C'est ainsi que Jean-Patrick Manchette a décrit le blues du cadre parisien ou la bourgeoisie de province qui pouvait s'entacher d'une belle femme qui s'avérait être une tueuse. Puis, on s'est aussi occupé des grands déclassés, des banlieues, des drogués, de la boite noire de la société. Marin Ledun qui écrit des polars et aussi des essais sociétaux décale légèrement le regard dans ce nouveau roman. Son personnage central, Émilie, est une infirmière qui vit sa vie de femme moderne entre un peu de travail, un peu d'alcool et des rencontres sans lendemain. Mais un jour c'est l'accident de voiture et tout bascule. Unijambiste elle doit survivre avec sa prothèse. Mais lentement, malgré sa volonté, c'est le déclassement et elle se retrouve à garder des chiens dans un chenil. Rongée par son handicap et par sa haine, elle croit enfin trouver la solution lorsqu'elle croise par hasard Simon, celui-la même qui a été impliqué dans son accident. Simon est un garçon qui lui aussi vivote en tant que conducteur d'engins sur chantiers forestiers, et qui oscille entre filles d'un soir et bières de tous les jours. Lorsqu'il la croise, il accepte volontiers de la raccompagner, mais se retrouve blessé, une balle dans la jambe, enfermé dans une des niches du chenil. S'en suit un trouble et étrange face-à-face.
Servie par une écriture qui stylistiquement rappelle les tenants du behaviourisme - on ne juge pas les gens, mais on les décrit avec application -, En douce déroule de manière implacable la trajectoire des personnages. Lorsque Émilie tire une balle dans la jambe de Simon, elle va, par chapitres intercalés, retracer sa vie quasiment à l'envers, remontant de son présent vers le jour de l'accident, comme nettoyant sa mémoire en la revivant. Marin Ledun dresse autour des deux personnages, quelques seconds couteaux (un gendarme, le propriétaire du chenil, une copine de Simon) comme autant d'ectoplasmes, de fantômes d'une vie normale qui se passerait en marge de la vraie vie, de la vraie aventure que constitue ce huis-clos, lourd, pesant, fort et prenant. Marin Ledun établit son décor en quelques mots. Le lecteur vit dans la solitude des personnages, sent l'odeur du chenil, perçoit le désespoir de silhouettes qui, comme dans une peinture de Dennis Hopper, attendent dans la nuit, éclairés par des néons blafards, une issue de secours qui ne se présentera peut-être pas, un remède à leur mélancolie, au mal du siècle, à l'image de ce pays qui va mal, de cette routine si habituelle et normative que l'on se croirait dans une suite de pavillons identiques, aux baies vitrées derrière chacune desquelles se trouve le même écran plat diffusant les mêmes images.
Cette routine est l'ossature de la vie de l'héroïne avant son accident, et l'idée de départ de sa vengeance est sans doute de détruire celui qui a injustement cassé cette routine. Mais en s'engageant sur ce chemin, elle va découvrir autre chose qui retourne le récit comme une peau de lapin et nous offre un subtile chemin de traverse, un pas de côté, un récit noir qui joue avec les codes du genre pour nous offrir au final une rédemption et une renaissance, car un roman noir, cela peut aussi finir bien et Marin Ledun avec En douce ne manque pas de nous le rappeler haut et fort.
Citation
L'intérieur de la maison rivalisait avec l'extérieur : location de célibataire, poussière, linge sale en vrac et cartons de pizzas, le tout enrobé d'une déco surfeur-globe-trotter émouvante et de grandes toiles de peinture abstraite du plus pur style cool.