Contenu
Banditsky ! Chroniques du crime organisé à Saint-Pétersbourg
Grand format
Inédit
Tout public
Thierry Marignac (directeur de collection)
Traduit du russe par Vincent Deyveaux
Paris : La Manufacture de livres, octobre 2016
248 p. ; 21 x 15 cm
ISBN 978-2-35887-139-6
Coll. "Zapoï"
Gueule de bois
La nouvelle collection de La Manufacture de livres dirigée par Thierry Marignac, l'un des spécialistes littéraires de la Russie, s'appelle "Zapoï". Elle fait écho à l'avant-dernier ouvrage d'Emmanuel Carrère consacré à Limonov - d'ailleurs Édouard Limonov sera au sommaire de la collection "Zapoï", il n'y a pas d'heureuses coïncidences. "Zapoï" désigne un état d'alcoolisme violent et propre à la Russie. Nul doute qu'après le lecture de ce Banditsky !, le lecteur ne se sente lui aussi dans un état de déconfiture avancée, de gueule de bois tenace et de nausées récurrentes.
Banditsky ! n'est pas un roman mais une suite de chroniques, d'où son côté parfois un peu décousu, qui présente la criminalité organisée en Russie. Plus particulièrement centré sur Saint-Pétersbourg, le texte offre des incartades sur d'autres parties de la Russie ou de l'Union soviétique car il est bien évident que les milieux régionaux interpénètrent. Il y a tout d'abord un rapide survol chronologique du crime depuis les tsars, qui permet de mettre en avant, outre la violence ancienne, les différences entre les groupes criminels, car ils ont un sens de l'honneur qui varie selon les groupes et les appartenances qu'ils revendiquent. Il y a une extrême codification, un peu comme les truands dans les films avec Jean Gabin, avant que d'autres générations ne soient plus sauvages et sans aucune gène ! Andreï Constantinov évoque les liens anciens avec les milieux d'affaires ou politiques. Les chroniques vont se concentrer sur les dernières années du XXe siècle. Le livre va alterner la description des affaires du Milieu, entrecoupée par des portraits de ses principaux dirigeants et de quelques encarts qui sont des entretiens avec des responsables criminels.
Ce qui ressort de cet ouvrage foisonnant et qui nous incite à parler de nausées et de gueules de bois, c'est la description des affaires. En fait, très rapidement, l'auteur évoque la mise sous le boisseau des criminels durant la période soviétique. Certes la criminalité existe mais elle est fortement contenue, non pas parce que les criminels sont pourchassés, mais parce qu'idéologiquement ils ne peuvent pas exister. Avec la libéralisation et la fin de l'Union soviétique, il existe une brèche dans laquelle vont s'engouffrer les groupes mafieux. Ce sera leur grande période, même si le manque d'autorité et de leadership oppose souvent les groupes entre eux, au détriment de leur montée en puissance rapide. Souvent, lorsque des gangsters sont arrêtés, c'est plus grâce aux dénonciations de leurs concurrents qu'au travail de la police. Ce qui frappe surtout, c'est la façon dont la corruption règne : parfois, les policiers arrêtent des gens. Souvent, si les choses ne se règlent pas à l'amiable dans le commissariat, c'est dans les tribunaux que les bandits sont libérés. Parfois, devant les scandales, une peine de prison est prononcée, mais très vite, le directeur de la prison accorde une réduction de peine, une sortie anticipée. Cette corruption se généralise au début des années 1990, et le journaliste d'égrener la façon dont les puissants des groupes criminels vont investir l'arène politique, devenant assistants parlementaires ou députés - ce qui d'ailleurs leur permet une impunité totale.
Les règlements de compte, les directeurs d'usine, les hommes politiques, leurs adjoints abattus devant les locaux du parti ou retrouvés dans leur voiture sont monnaie courante, une suite de petites pièces. Mais là où la nausée devient insurmontable, c'est lorsque le journaliste évoque, à mots couverts, l'époque actuelle. La corruption a atteint des sommets puisque derrière les puissances criminelles du pays, qui gèrent les affaires légales en même temps, il y a des hommes de l'ombre, des groupes puissants liés aux plus hauts sommets de l'État (peut-être même les contrôlant discrètement). Ces groupes se sont emparés de tous les rouages importants, n'hésitant pas à déplacer juges et policiers, voire à les éliminer. Andreï Constantinov donne des exemples de tueurs à gage engagés, effectuant leur travail, puis disparaissant dans les eaux sombres des fleuves ou des lacs afin que rien ne puisse remonter. Peu de preuves, juste des doutes, si vagues qu'aucun tribunal (frappé de folie judiciaire) ne veuille les entendre, et où hommes intègres (policiers, juges, journalistes, hommes politiques) se cassent les dents, quand ils n'y perdent pas la vie.
Finalement, les amateurs de littératures policières qui étaient horrifiés par la mafia américaine, mexicaine et italienne découvrent ici, par ce documentaire qui aligne des faits de manière effarante, combien les groupes criminels russes les dépassent en brutalité et en violence cynique (en attendant ceux qui se situent dans l'ancien empire soviétique asiatique ou les groupes chinois qui doivent aiguiser les dentitions dans l'ombre des dirigeants communistes). Lorsque l'on arrive à la fin Banditsky !, on comprend à quoi ressemble l'état "zapoï", in fine.
Citation
Au cours de son interrogatoire par le juge Garzon, une autorité pétersbourgeoise a posé la vraie bonne question : 'Vous êtes sûr que vous voulez savoir toute la vérité ?'