Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
Le pays où le renne est roi
Lorsque l'on découvre, à la faveur d'un glissement de terrain dans les terres inhospitalières du Grand Nord un squelette, l'on se dit qu'une enquête policière va débuter. L'affaire pourrait apparaître d'autant plus complexe que quelqu'un a subtilisé le crâne du mort, peut-être avec le dessein. d'empêcher toute identification. Rapidement, les policiers doivent déchanter car la personne est bien morte, mais il y a de cela plusieurs centaines d'années. Du coup, le corps devient l'objet de convoitises car il pourrait répondre à des interrogations historiques et principalement sur l'identité des premiers résidents de la région. L'enjeu est d'abord historique entre deux écoles dont nous allons apprendre les grandes thématiques - l'une plus raciale, liée aux mouvements de droite, prétend que les Lapons ne sont que des citoyens de deuxième zone, arrivés tardivement dans la région et l'autre pense au contraire que les Samis (nom politiquement correct des Lapons) sont bien les premiers arrivants sur cette terre, mais que nomades, ils n'auraient laissé que peu de traces. La police va donc tenter de retrouver le crâne manquant qui permettrait de définir l'origine ethnique du mort. Cette option n'est pas que historique car définir l'origine permettrait de mettre fin à un conflit entre les Lapons et les Suédois qui exploitent les terres régionales. L'enquête est donc une plongée historique dans la recherche des expéditions ethnologiques, dans les querelles d'archéologues et chez les trafiquants d'objets primitifs (y compris les crânes), rendues extrêmement vivante par son cadre. En même temps, l'histoire fait référence à des événements bien connus pour d'autres peuplades indigènes - les Indiens d'Amérique, les Koirs, les Kanaques -, à savoir la lutte continuelle entre les droits des peuples premiers, nomades et sans droit explicite de propriété, et les colons qui se sont approprié le sol et l'ont fait fructifier.
Doublé d'une description précise de la société locale, de son oscilllation entre les modes de vie traditionnels et les emprunts à la modernité, par des scènes d'action où la destruction des sites archéologiques devient une façon de nier une nouvelle fois les droits des populations, La Montagne rouge établit des parallèles entres les époques : rythme ancestral des indigènes (le roman s'ouvre sur la description de l'abattage des rennes), expéditions des siècles passés pour comprendre l'évolution des peuples, théories raciales (avec étude de la forme du crâne pour établir l'intelligence ou la bêtise des peuples) du XIXe siècle, extension de ces théories par les nazis ensuite et rapport avec la politique anti-émigrants actuelle. Plus que l'enquête policière sur les incendies ou destructions de sites, c'est cette recherche du crâne disparu, les enjeux importants que cela recouvre, et la façon dont cela peut transformer les vie des peuples ou celle, plus individuelle, des policiers qui doivent faire des choix, qui est particulièrement intéressante. Olivier Truc est journaliste et son approche de la thématique de son roman s'en ressent pour notre plus grande sagacité. Faut-il suivre la loi actuelle qui nie certaines revendications ou se référer à une forme plus morale, plus ancienne mais désuète et non légale ? Cette façon de remuer les certitudes, à travers une intrigue bien rythmée et des personnages crédibles (les habituels Klemet et Nina), dans des décors rendus avec soin (on perçoit la rudesse et la dureté du mode de vie), permet à Olivier Truc de continuer sa série avec un bonheur renouvelé.
Citation
Votre crâne vous dira peut-être encore des choses sur l'individu, mais la meilleure preuve que vous pourrez apporter sera peut-être bien celle de ces arbres dont seuls les samis faisaient une telle utilisation.