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Grand format
Inédit
Tout public
244 p. ; 19 x 14 cm
ISBN 978-2-36183-394-7
Coll. "La Bibliothèque voltaïque"
Gueules cassées à la loterie
La fameuse loterie dite des "gueules cassées" est censée alimenter les anciens poilus revenus de la Première Boucherie mondiale. Dirigée par l'Union des blessés de France sous la férule du colonel Picot depuis leurs locaux inaugurés par le président de la République Albert Lebrun, la machine est bien huilée : P'tit Lulu, à la mâchoire décalée, se charge de la diffusion des billets et Gaston Labouchère, dit Fend-la-gueule à cause de son visage coupé en deux par un obus, communique les résultats des tirages à la presse, Bienaimé Jourdain, au visage de cauchemar dissimulé sous un masque, est secrétaire du colonel. Mais il faut que l'affaire soit grave pour que le colonel décide de convoquer tout son monstrueux aéropage dans son bureau. En effet, deux gagnants de la loterie sont morts successivement. Quelles sont les chances pour qu'il s'agisse d'un hasard ? Et, pourtant, la police refuse de lier les deux décès, y voyant de simples suicides. Persuadé qu'il s'agit d'assassinats, le colonel envoie son équipe de gueules cassées (mais pas de bras cassés) pallier les carences de la police dans un Paris grouillant d'espions allemands alors que l'hydre nazie s'impose peu à peu de l'autre côté de la frontière. Et qui est ce mathématicien de génie qui semble être au centre d'un étrange trafic ? La faute à pas de chance ? Oui et non...
Voilà un roman difficile à classer : bien qu'il sorte dans une des maisons-phare de l'imaginaire, l'élément SF promis est on ne peut plus léger. Un polar ? En effet, puisqu'il y a une enquête menée par les plus improbables des enquêteurs - ces gueules cassées à la comprenette vive devraient faire réfléchir les va-t'en-guerre salonnards bien planqués qui relèvent le groin dans les médias... À l'espionnage, le roman emprunte également une intrigue assez tortueuse (mais dont quelque part, on se moque un peu...), même si au final, seul l'élément proto-science-fictionnel créé le vertige propre au genre. Alors écrivons-le tout net : il s'agit avant tout d'un grand roman populaire au sens noble du terme ou plane aussi bien l'ombre d'Eugène Sue ou de Fantômas que de Léo Malet, voire des bédés gouailleuses d'époque du genre Pieds Nickelés. La reconstitution historique est parfaitement crédible avec le charme d'un argot désuet sans tomber dans le travers courant dans le genre de vouloir caser à tout prix un maximum de figurines historiques. L'élément central est bien sûr la vie que Julien Heylbroeck insuffle à ses personnages et leurs réactions différentes face à leur infortune sans jamais tomber un seul instant dans le mélodrame de bas étage. S'il est assez courageux de (sans déflorer) faire tenir la résolution dans le domaine des mathématiques, on regrettera juste que le roman ait le même défaut que le très bon Stoner Road du même auteur : une conclusion pas tout à fait à la hauteur de ce qui l'a précédé. Mais qu'importe, en donnant une voix à des personnages trop souvent oubliés, le pari est réussi. On n'oubliera pas de sitôt Fend-la-gueule, Alexandre Gendron le borgne et tous les autres. Et comme toutes les productions des Moutons électriques, le livre lui-même est un très bel objet, peut-être moins, hem, extravagant que certaines de leurs maquettes, mais qui colle au sujet, avec une qualité de fabrication évidente, et que l'on aura plaisir à offrir ou mettre dans sa bibliothèque. Cela mérite d'être noté !
Citation
Dans l'amas couturé qui servait de figure à Gaston Labouchère, deux prunelles brillantes attestaient de la malice de l'ancien caporal. Il savait tout, Fend-la-gueule. Il n'avait pas son pareil pour décrypter les gens, il lisait sur les visages comme dans un livre ouvert. Peut-être parce qu'il n'avait plus le sien depuis Verdun.