Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
170 p. ; 20 x 14 cm
ISBN 978-2-35887-237-9
Coll. "Territori"
Couteaux dans la Manche
Il est des livres qui prennent leur temps, qui affutent les décors, glissent avec soin les personnages. Il en est d'autres qui nettoient jusqu'à l'os, qui raclent tout le gras pour ne présenter que les aspérités. Écume serait plutôt de la deuxième catégorie. L'essentiel de l'histoire se déroule sur un bateau, perdu au milieu de l'océan. À son bord, le père et le fils qui pêchent. Attention, la vraie pêche avec filets pour ramener du poisson aux supermarchés pas juste deux zigotos qui s'amusent. Non, pas de plaisir, mais le rude métier au milieu des embruns, des filins qui claquent, des poissons qu'il faut ouvrir et dépecer, pendant que le bateau tangue. Le métier est rendu avec soin, avec force, et le lecteur distingue parfaitement le travail, la peine endurée. De plus, le père et le fils (ils seront d'ailleurs uniquement nommés ainsi) se regardent en chien de faïence, en paysans de la mer, taiseux, gardant pour eux leurs problèmes, avec collée entre eux, l'image de la mère morte récemment. Les couteaux qui étripent le poisson pourraient bien servir à régler des comptes, à apurer des haines et, sans la fatigue du boulot, ce serait sûrement déjà chose faite. Mais, comme on le sait, la pêche ne nourrit plus son homme et, pour continuer à faire tourner leur bateau, les deux hommes ont une activité annexe. Ils profitent de leur déplacement pour passer des clandestins de France en Angleterre. Ils récupèrent des migrants par un passeur, vont au milieu des eaux, puis les transbordent sur le bateau d'un Anglais qui fait le reste de la traversée. Un Anglais qu'ils détestent et qui les déteste, de loin, sans même que les trois protagonistes ne se connaissent, uniquement liés par l'argent. Un jour cependant tout va chavirer.
Écume est au choix un court roman ou une longue nouvelle, qui prend son temps pour montrer la rudesse des hommes et des situations. Peu de larmes car après tout qui a le temps de pleurer dans notre monde ? La violence est décrite comme le quotidien, comme si elle n'est qu'une péripétie ordinaire dans cet univers actuel, comme si la fatalité recouvrait toute action, tout mouvement humain. Le style rend la rudesse des situations, des regards, des échanges non verbaux, rend visible tout ce silence coupé juste par la violence des éléments. Il y a de la vigueur, de l'implicite, du noir taillé en fins éclats, comme un documentaire sombre, comme une tranche de vie pessimiste, jamais glauque, nettoyée par les embruns et les tempêtes. C'est âpre, âcre et fort comme une gorgée de bourbon en fusion dans la gorge.
Citation
Le ciment orphelin ruisselle, écrasé sous l'averse. Il y a là un village entier qui pourrit, à demi-éventré.