Contenu
Champ clos
Poche
Réédition
Tout public
224 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-07-079330-3
Coll. "Policier", 844
Les vieilles peaux
Les écrivains Pierre Boileau et Thomas Narcejac sont passés maître dans l'art de dépeindre des portraits de notre société avec leurs travers poussés à l'extrême. Avec Champ clos, ils nous permettent d'observer la fin de vie deux deux personnes qui ont vécu ensemble pendant plus de quarante ans sans jamais s'aimer, se supportant parfois, se haïssant d'autres fois, quoique en matière de relations, les leurs étaient un peu plus complexes. L'histoire se déroule sur une île privée au large de Nice dans ce qui ressemble à un hospice pour personnes fortunées. La Thébaïde est un ensemble immobilier avec maisons individuelles et lieux en commun, qui vit avec des règles strictes de copropriété et où chaque nouvel arrivant doit être adoubé par tous ceux déjà en place. On y retrouve des personnes ayant dépassé la soixantaine, les maris anciens hommes aux affaires fructueuses, les femmes ayant manié avec virtuosité l'art de rester au foyer. En matière d'art justement, il y a Gloria Bernstein, ancienne violoniste renommée, égérie de l'île du haut de ses bientôt cent ans révolus. Elle a sa cour qu'elle réunit chez elle devant un stradivarius qu'elle ne fait plus que contempler dans un couffin que l'on imagine en osier avec des coussins pour ne pas abîmer l'instrument de valeur. Elle raconte alors des pans de sa vie et appuie sur toutes les rencontres avec des gens célèbres qu'elle a pu faire. Et quand elle n'a plus la force de parler, elle fait écouter à sa cour en pâmoison un vieux 78-tours de ses concerts. Gloria a eu quatre ou cinq maris successifs morts tragiquement. Elle a surtout une sœur cadette de dix ans, Julie Maïeul, qui s'est découvert un cancer et qui se meurt en silence. Sauf que quarante années auparavant, un accident de voiture a projeté cette même Julie contre le parebrise et qu'elle y a perdu nombre de phalanges. D'autant plus handicapant que c'était une pianiste talentueuse. D'autant plus contrariant que c'était sa sœur au volant. Depuis, Julie, morte intérieurement, en veut mortellement à Gloria. Et Gloria, à la porte de ses cent ans, va recevoir la Légion d'honneur qui est la goutte d'eau qui fait déborder le vase d'acrimonies de Julie, qui veut partir sur une dernière vengeance. Et cette vengeance sera la plus terrible de celles qu'elle a déjà concoctées (car elle en a concocté un certain nombre au point de faire disparaître en autant de crimes parfaits les maris de sa sœur !) : elle va introduire à La Thébaïde Gina Montano, ancienne star napolitaine (elle aussi centenaire) du grand écran, et observer les deux rivales s'affronter en un ultime combat narcissique mortel. Le compte à rebours est commencé et il va se révéler traumatisant ! L'histoire se lit d'une traite, et le lecteur n'arrive pas à s'apitoyer sur le sort funeste de ces vieilles gloires. Le talent de Boileau-Narcejac va même jusqu'à nous faire comprendre la vengeance de Julie, et nous faire souhaiter qu'elle réussisse. Peut-être parce que l'on ne peut se décider à savoir si Gloria n'a pas intentionnellement mis un terme à la carrière de sa sœur qu'elle jalousait. Peut-être parce que les romanciers dépeignent une Gloria narcissique, égoïste, qui a trouvé le culot de renverser la culpabilité au point de vouloir faire culpabiliser sa sœur de sa propre culpabilité. Boileau-Narcejac encore une fois ont fait preuve d'une fine observation des travers humains.
Citation
Les vieux, décidément, ce n'est pas beau. Cette pauvre Gloria, quand je pense aux fêtes, aux réceptions, à Paris, du temps de ses premiers maris... Elle était la reine de toutes ces soirées... Et maintenant, à quoi passe-t-elle son temps ? À ruminer des sottises, à faire de la dépression pour une question d'aquarium. Retiens bien ça Clarisse. Elle va en faire une maladie.