Contenu
Grégory. La Machination infernale
Grand format
Inédit
Tout public
244 p. ; 22 x 15 cm
ISBN 978-2-02-138956-2
Corbeaux, jalousies et erreurs
Après Guy Georges, le Gang des Postiches et le 36, Quai des Orfèvres, Patricia Tourancheau s'attaque ici au plus célèbre cold case français : "L'Affaire Grégory". Celle-ci débute le 16 octobre 1984 par la découverte de son corps ligoté dans la Vologne. Trente-trois ans plus tard, elle rebondit avec les arrestations du couple Jacob (la grand-tante, sœur de la grand-mère paternelle de Grégory et son mari) ainsi que celle de Murielle Bolle (quinze ans à l'époque, sœur de la femme de Bernard Laroche). Elle avoua, dans un premier temps, avoir accompagné son beau-frère lors de l'enlèvement du petit Grégory avant de se rétracter pour ne jamais changer de position. Impossible ici de résumer cette affaire monstrueuse où les membres de la famille habitant tous dans un rayon de dix-sept kilomètres au maximum cuisent et recuisent leur haine et leur ressentiment. Issus du milieu ouvrier, ils apparaissent ici comme des gens simples, voire très simples, murés dans leurs secrets. Car il y en a des secrets ! Des histoires d'enfants mis de côté, d'alcoolisme, d'inceste, d'échangisme, mais surtout des histoires de promotions enviées.
Les branches de famille sont étroitement soudées par l'honneur et la peur. Tout ceci a été conjugué à un déchaînement médiatique hors du commun, entretenu par des avocats, le jeune juge Lambert et des journalistes acharnés et manipulateurs auxquels se confièrent des membres de la famille. Le premier chapitre, "Les Corbeaux", glace le sang. Il raconte combien les coups de fil et les lettres anonymes ont empoisonné la vie des Villemin (jalousés pour la promotion du père devenu cadre dans son usine) pendant près de deux ans avant le meurtre...
Si les arrestations de juin 2017 ont provoqué le suicide du juge Lambert, il apparaît que sa gestion de l'enquête fut calamiteuse (pas d'autopsie réelle de Grégory, on ne sut donc jamais s'il fut noyé dans une baignoire ou dans la rivière, ni l'heure exacte de sa mort, ni s'il reçut une piqûre d'insuline dont l'emballage fut retrouvé sur les berges). Mais, comme le souligne Patricia Tourancheau, le juge Lambert ne fut pas le seul a être hanté par cette histoire. Le juge Simon, qui lui succéda avant de devenir amnésique suite à une crise cardiaque, entreprit de noter ses impressions sur des carnets destinés à son fils, carnets qui nourrirent aussi cette reprise actuelle de l'enquête. La journaliste Laurence Lacour qui couvrit l'Affaire pour Europe 1 a été détruite avant de décider d'écrire un livre à charge contre les médias, et se rapprocher du juge Simon. Le colonel de gendarmerie Sesmat a lui aussi écrit un livre pour défendre l'enquête de ses services qui furent dessaisis par le juge Lambert en faveur de la police qui, elle, croyait à la culpabilité de la mère. Et, ceci, suite au forcing de l'avocat de Laroche, d'un gradé de la police et d'un puissant journaliste de la région. Aujourd'hui, c'est la gendarmerie qui revient sur le devant de la scène pour cette enquête hors normes.
Sesmat et Lacour font l'objet de chapitres dans le texte de Patricia Tourancheau. Quant au logiciel AnaCrim qui a été utilisé pour "mettre les corbeaux en cage", ce n'est pas un logiciel de graphologie comme le public a pu le penser mais une immense base de données qu'il a fallu nourrir, tout d'abord, d'un immense arbre généalogique de tous les membres proches ou éloignés du petit Grégory, ainsi que des connaissances des Villemin. Ensuite, deux gendarmes ont introduit les douze mille pages de procédure reprenant noms, adresses, appels téléphoniques, alibis, déplacements, témoignages et positionnement de tous ces personnages au moment de l'enlèvement fixé dans un espace de temps limité à dix-sept minutes exactement.
À ce propos, le lecteur déplorera qu'aucun arbre généalogique, même simplifié, n'apparaisse dans le livre pour l'aider. Manque aussi une bibliographie de l'Affaire.
À la lecture de cet ouvrage, le scénario semble établi : Laroche serait l'auteur de l'enlèvement (on se rappelle qu'il fut tué d'un coup de fusil par son cousin Jean-Marie Villemin, le père de Grégory), Murielle Bolle aurait bien été présente dans sa voiture pour garder le petit garçon handicapé de Bernard Laroche assis à l'arrière. Mais Bernard Laroche est-il pour autant l'assassin ? Ce n'est pas établi. Aurait-il "seulement" enlevé puis remis Grégory au commanditaire, sans doute l'un des corbeaux ? "La Machination familiale", sous-titre du livre, dessine une épouvantable évidence.
Citation
Au funérarium d'Épinal, où Christine et Jean-Marie Villemin viennent étreindre comme des fous leur enfant pour la dernière fois, des paparazzi leur proposent 2 000 francs pour la photo de Grégory dans son cercueil.