Contenu
Grand format
Inédit
Tout public
206 p. ; 20 x 14 cm
Coll. "Territori"
Un pur moment de grâce
Au départ de cette histoire, ou d'ailleurs peut-être à sa conclusion, il y a une image qui hante à la fois le roman et le lecteur : une jeune femme pendue à un pont surplombant la ville. Même si tous ne l'ont pas vu, ce cadavre, tous en ont entendu parler. Mais les gendarmes sont clairs il ne peut s'agir que d'un suicide. Ce qui va troubler le village, ce n'est pas cette silhouette voletant à sa poutrelle, mais le fait que le corps de la jeune fille, entreposé dans l'espace funéraire du village, se volatilise. Qui a pu voler le corps ? Les coupables potentiels sont montrés du doigt, et notamment le vagabond, venu récemment squatter dans le coin. À côté de la jeune défunte, et de ses deux amis, un garçon et une fille, vont graviter quelques habitants du village, leurs pensées et actions dans le tumulte orchestré par cette disparition. Situé comme beaucoup de livres de cette collection qu'est "Territori" dans le centre de la France, une France rurale, avec quelques usines et où hommes et animaux meurent dans l'oubli le plus complet (à l'image d'une scène au milieu du roman au cours de laquelle les gendarmes vont chercher les carcasses et les animaux blessés d'un agriculteur parti en les abandonnant), le roman joue de cet exotisme qui n'est ni surjoué ni misérabiliste, mais utilisé comme un élément naturel aussi important que le caractère de ses habitants, comme cela peut l'être aussi chez des écrivains comme Pierre Michon - comme un symbole et une représentation de l'humanité en général. Les Mauvaises doit beaucoup aux détails accordés aux différents protagonistes qui s'en partagent l'intrigue. Outre le père de la morte, la famille d'industriels locaux, il y a deux adolescents-jeunes adultes qui sont donc les amis de la pendue : une jeune fille qui aimerait partir à la ville, et un garçon qui s'enferme peu à peu dans son propre esprit. Peu d'actions donc (même si à la fin on saura qui a volé le cadavre et pourquoi), mais une superbe évocation, lente et majestueuse comme les décors dans lesquels l'intrigue se situe, d'un univers si proche et pourtant si inconnu, empli de non-dits, comme ce qui est parfaitement dans la ligne de force des ouvrages de "Territori". Le roman se permet même un chapitre sous forme de poème en vers libre qui ne dépare pas du reste, comme s'il en était un prolongement, une émanation naturelle. Les Mauvaises, dont le final ajoute encore un goût amer à ce qui était déjà peu sucré, est un texte noir et pessimiste, qui prend à la gorge, satisfera tous ceux qui suivent avec attention cette œuvre romanesque de Séverine Chevalier, commencé aux éditions Écorces et qui ici se poursuit remarquablement.
Citation
Le cadavre disparut la même nuit que les bêtes. Une nuit d'été bien noire, sans lune ni ombre, touffue et épaissie de nuages stériles.