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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Laura Derajinski
Paris : Gallmeister, mars 2018
454 p. ; 21 x 15 cm
ISBN 978-2-35178-168-5
Coll. "Americana"
Les nuits de la pourchassée
Gabriel Tallent signe avec My absolute darling un premier roman noir envoûtant et déroutant sur le parcours initiatique et reconstructif de Turtle Alveston, jeune adolescente brute mais pas brutale, pour s'émanciper de la coupe d'un père charismatique et pédophile dans une Californie plus rurale que jamais où les habitants sont tout sauf singuliers.
Elle se prénomme Turtle, mais n'est absolument pas lente à la détente. D'ailleurs question détente elle en connait un bout : des armes à feu – surtout l'AR-10, un Lewis Machine & Tool avec une lunette U.S. Optic 5-25x44 – elle en emporte quand elle sillonne les bois qui l'entourent et qui sont pour elle autant de moyens d'évasion. Sa mère est morte – on apprendra plus tard qu'elle s'est sans nulle doute suicidée –, Martin, son père, est omniprésent, et ses résultats scolaires sont désastreux. Au point d'inquiéter Anna son institutrice. Mais l'adolescente est bien trop revêche pour lui faire confiance. Tout comme elle n'ose pas faire confiance à son grand-père, le père de son père, qui lui offre tout de même un couteau dont il est fier de la lame pour qu'elle puisse se défendre. Le père abuse d'elle et la rejette après avoir abusé d'elle, atteint trop tardivement d'une culpabilité. C'est une histoire qui sans cesse se répète. Sa manipulation le pousse même à ébrécher cette lame de couteau sous couvert de la rendre meilleure. Pourquoi la surnomme-t-il "Croquette" ? On est dans le summum du cercle vicieux et pervers. Et les séances d'éducation sur fond de torture "Tu seras un homme, ma fille" n'arrangent rien. Surtout, Turtle pense qu'elle s'en sortira toute seule. En attendant, elle nargue son père, et le lecteur découvre des scènes qui hésitent entre l'onirisme, le fantastique et le gothique au côté de cette adolescente atypique. Jusqu'au jour où elle croise Jacob et Brett, deux adolescents un peu plus âgés, qui se lient étrangement d'amitié avec elle, Turtle, cette fille mal dans sa peau, et mal attifée qui les voit au premier abord comme des "abrutis, complètement abrutis",ce qui dans sa bouche est un compliment, elle qui ne manque pas d'user d'un langage de charretière. Eux aussi sont captivants mais pas pour les mêmes raisons. Leurs dialogues sont autant de joutes verbales sur fond de Finnegans Wake et autres joyeusetés littéraires et artificielles. Pour Turtle, c'est un autre monde qui s'ouvre à elle. C'est l'heure aussi des premières amours. Car le lecteur le sait avant elle : elle en pince sévère pour Jacob. C'est le moment que choisit le père pour disparaître à bord de son pick-up. Mais il reviendra plus tard avec une autre enfant, plus jeune, qu'il fera souffrir tout pareillement, qu'il violentera tout pareillement, alors même que Turtle, qui dans la réalité se prénomme Julia, a juré de protéger Cayenne. Et quand Turtle se décidera à passer à l'acte, c'est toute une nouvelle violence qui se déchainera.
My absolute darling est un roman merveilleux malgré la noirceur qu'il dépeint. Étrangement, il y a de l'espoir dans ce premier texte de Gabriel Tallent, et Turtle est une jeune adolescente dotée d'une volonté de fer, qui malgré des moments de démotivation profonde, reprend inlassablement la besogne qu'elle s'est mise en tête d'accomplir. C'est surtout une âme sensible et un caractère têtu. C'est aussi pour ça que l'on s'attache à ce personnage. Et que les pages horrifiques défilent en attendant un quelconque message d'espoir. Gabriel Tallent a un talent fou.
Citation
Elle pense, Turtle Alveston il t'a violée et tu en as redemandé. Soit tu es déjà enceinte, soit tu le seras bientôt. Si tu pars, il ira dans le salon et tuera Cayenne. Puis il roulera jusqu'au 266 Sea Urchin Drive et tuera Jacob. Il faut que tu comprennes dans quelle situation tu te trouves. Tu dois vraiment bien comprendre, bon Dieu, sans te mentir à toi-même.