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Au cœur des ténèbres
Détective privé au soleil, Daniel Kissling traîne entre le souvenir honni de son père, propriétaire d'une galerie d'art, et son épouse noyant son mal-être dans l'alcool. Mais une affaire réussie, retrouver Bessie Taylor, une jeune héritière en goguette, l'amène à un plus gros poisson, à savoir le magnat reclus Sarkis Bedrossian. Celui-ci vient d'acheter un Gandhara, une statue boddhisatva extrêmement rare, au marchand d'art Alexander Kurtz... qui ne l'a jamais livrée. Kissling se retrouve avec des fonds en apparence illimités pour retrouver la statue et le vendeur. Mais alors qu'il remonte la filière du trafic d'œuvres d'art, plus ou moins liée au terrorisme international, Kurtz se fait de plus en plus insaisissable... alors même qu'il sème des indices donnant à penser qu'il surveille les moindres faits et gestes de son poursuiveur, voire s'amuse à jouer au chat et à la souris avec lui. Et il y a la belle autant qu'énigmatique Fang Yin qui s'attache à ses pas alors que Kissling remonte une piste qui l'amènera au bout de lui-même...
À tort ou à raison, on se méfie des transfuges transgenres (littéraires), puisque loin est le temps ou les auteurs populaires à la Jean Mazarin-Emmanuel Errer ou surtout Serge Brussolo sautaient joyeusement d'un genre à un autre. Souvent, les dits transfuges se contentent de se conformer à ce qu'ils croient être les canons du genre, ne réussissant qu'à usiner les pires clichés du dictionnaire. On pourrait croire qu'il serait de même ici tant le détective privé est un archétype, ici accompagné des figures imposées : se faire tabasser une fois le nombre syndical de pages, et une femme qu'on imagine plus ou moins fatale. C'est oublier que ces clichés ont une fonction. Richard Canal développe le rôle de son détective privé dans la grande tradition remontant à la tragédie grecque, à savoir la figure tragique du chercheur/porteur de vérité que Ellery Queen avait si bien traité dans ses romans tardifs. Le tout débouche sur une réflexion salutaire maintenant que les petits hommes gris avec une calculette à la place du cerveau ont pris le dessus : l'art et est restera toujours le seul rempart contre la barbarie, laquelle fera toujours tout son possible pour le détruire. Mais le tout, hommage direct et revendiqué à Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, n'est pas une thèse, plutôt un roman d'aventure qui renoue avec un parfum d'exotisme trop rare avec même, sans déflorer, une réflexion sur ce trafic d'œuvre d'art servant souvent de cache-sexe aux exécuteurs de basses œuvres. Ajoutons-y l'argument qui tue : une narration d'une limpidité absolue digne des plus grands best-sellers. Tout comme Le Miroir du damné, autre roman des éditions Séma que k-libre avait apprécié, vous ne risquez pas de trouver ce roman en tête de gondole, mais il mérite bien qu'on aille le commander chez son libraire (de préférence indépendant)...
Citation
Pour faire court, les hommes se divisent en deux clans : ceux qui prennent des risques et ceux qui ne quittent jamais leurs pantoufles. Je venais de jeter mes pantoufles à la poubelle, je ne devais pas me plaindre si un bulldozer m'écrasait les orteils.