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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit du japonais par Dominique Sylvain, Frank Sylvain
Paris : Atelier Akatombo, octobre 2018
270 p. ; 21 x 15 cm
ISBN 978-2-37927-006-2
Coll. "Policier"
Des mœurs et des meurtres
Seichô Matsumoto est considéré (à juste titre) comme le Georges Simenon japonais. Et pas seulement parce que comme son homologue belge il compte une œuvre imposante : plus de quatre cent cinquante écrits ! Non, parce que surtout il met le mobile d'un crime au centre d'un roman dans lequel il observe, analyse et dépeint la société. À ce titre, Le Point zéro est un modèle du genre. Le fait qu'il n'ait pas été traduit jusqu'à présent relève d'une bizarrerie éditoriale, mais elles sont nombreuses ces bizarreries éditoriales. Peut-être est-ce dû au genre qui était jusqu'à il y a peu considéré comme mineur (le roman date de 1971) associé au fait que les traducteurs du japonais n'étaient pas très nombreux. Toujours est-il que ce roman est enfin traduit. Le Point zéro, c'est un roman d'énigme axé autour de la place de la femme japonaise dans l'immédiate après-guerre et son évolution. Dès le départ, nous sommes au milieu des années 1950, le lecteur est plongé au cœur de la société japonaise et de ses contradictions. À Tokyo, la jeune Teiko accepte un mariage arrangé avec Kenichi. L'homme est un illustre inconnu. Elle ne connait rien ou presque de lui, de son parcours. Tout juste sait-elle qu'il travaille dans une agence publicitaire et qu'il passe une partie de son temps en province à traquer des clients pour son employeur. Plus âgé que Teiko d'une petite dizaine d'années, il a sûrement vécu, mais cela ne dérange pas Teiko qui souhaite qu'il soit expérimenté. Peu après leur mariage et un voyage de noces où elle commence à se poser des questions, Kenichi part pour Kanazawa d'où il ne reviendra jamais. La jeune femme n'est pas encore officiellement veuve qu'elle devient une détective en herbe qui va travailler de conserve avec des policiers chevronnés et d'autres enquêteurs amateurs qui vont du frère de son mari (qui lui cache certaines choses) à l'un de ses collègues (qui semble tomber amoureux d'elle). Mais alors que Teiko se rapproche de plus en plus de la vérité sur la disparition de son mari, des crimes se multiplient selon un même mode opératoire, à savoir que les victimes ont succombé à du poison versé dans des fioles de whisky. L'intrigue est des plus classiques, même pour l'époque, et le lecteur aguerri aura vite fait de cerner quelques coupables potentiels avant de débusquer le véritable coupable. L'essentiel n'est pas là. Dans ce roman, Keito se comporte comme le commissaire Jules Maigret. L'enquête avance lentement. De temps en temps on a envie de la brusquer. Mais dans le même temps on découvre une région, des traditions et une société qui se relève péniblement de la capitulation japonaise et de l'occupation américaine. Seichô Matsumoto s'appuie sur les pan-pan, ces jeunes femmes qui se baladaient au bras des soldats américains et qui s'affranchissaient d'une société en même temps qu'elles se prostituaient. Un peu comme si la femme japonaise du XXe siècle faisait sa mue avec une crise identitaire profitant de l'abattement des hommes dans une société séculaire patriarcale, voire phallocrate. Car le phénomène n'eût qu'un temps, et le génie du romancier est de s'intéresser à ce qu'elles sont devenues après, ces femmes, quand nombre d'entre elles se sont mariées en gardant par devers elles le secret de cette période de leur vie. Mais le romancier japonais ne s'arrête pas à cette description. Il dépeint les mœurs contemporaines encore saisies par des traditions ancestrales dans des ambiances feutrées. Il nous promène en compagnie de Keito de train en train, de petite ville de province en petite ville de province, sous la pluie, le vent et la neige à la recherche de deux maisons que Kenichi avait pris en photo et conservées dans un ouvrage de droit, et d'une femme qui pourra révéler la vérité. C'est ainsi que l'on apprendra que l'homme avait été dans la police des mœurs, qu'il avait surement une vie secrète, et que certaines de ses compétences et connaissances ont sonné le glas de sa nouvelle vie. Le roman se termine sur des regrets et de la nostalgie. Ce Point zéro cher à Seichô Matsumoto, c'est le point de bascule, le point de non retour. Ce moment que l'on a peur d'affronter et que l'on abordera quoi qu'il en soit de la pire des manières. C'est le moment que regrettait par dessus tout Jules Maigret quand se dessinait des aveux, et qu'il comprenait que le crime aurait pu être évité... C'est lui qui changera à jamais la vie de Keito, le personnage central et attachant de ce roman.
Citation
Si elle était apparue dans les recherches de Sôtarô, cela signifiait qu'il y avait un lien entre elle et Kenichi. Mais quelle histoire pouvait bien lier Kenichi à l'épouse d'un ouvrier de l'usine Murota, devenue réceptionniste au siège ? C'était ce lien qu'elle ne pouvait établir alors même qu'elle cherchait avec détermination.