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Grand format
Inédit
Tout public
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Anne-Marie Carrière
Paris : Rivages, octobre 2018
432 p. ; 23 x 16 cm
ISBN 978-2-7436-4495-6
Coll. "Noir"
Ville blanche, ville noire
Thomas Mullen revient sur l'Amérique raciste des États du Sud au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il plante son décor dans la ville emblématique d'Atlanta où un maire pour se faire élire a proposé d'enrôler des Noirs dans les forces de police. Les huit fonctionnaires choisis vont alors apprendre qu'ils ne sont pas des flics comme les autres parce qu'ils ne sont pas des blancs au contraire des autres.
Premier volet de ce qui est annoncé comme une saga policière, qui plus est déjà en cours d'adaptation, Darktown est un roman qui s'inscrit dans la lignée des ouvrages de Richard Price avec une ville coupée en deux, mais qui reste au pouvoir des Blancs. Tout débute dans un quartier noir dans Auburn Avenue quand un réverbère est heurté par une Buick. Les agents Lucius Boggs et Tommy Smith, vétérans de la guerre, ne le savent pas encore mais ce simple fait va chambouler leur carrière et la vie de nombreuses personnes. L'homme au volant se nomme Brian Underhill. C'est un ancien flic blanc viré pour corruption dans une affaire de machines à sous. C'est surtout un gars qui fait le mauvais boulot, celui que les flics blancs ne peuvent pas faire. À ses côtés, à la place du mort, de la future morte devrais-je dire, Lily Ellsworth, jeune et ravissante Noire qui porte une robe jaune, arbore un médaillon et qui est couverte d'ecchymoses, mais qui ne tarde pas à s'enfuir. Arrivés plus tard sur les lieux de l'accident, les agents Denny Rakestraw et Lionel Dunlow, tous deux des flics blancs, ceux qui ont le pouvoir d'enquêter, laissent Dunlow repartir sans coup férir. La suite est ordinairement sordide : le corps de Lily est retrouvé, identifié à la morgue par son beau-père Otis Ellsworth, et Lucius et Tommy ne trouvent d'autres solutions que d'enquêter pour laver leur conscience jusqu'à traverser les frontières entre Bien et Mal, et commencer à ressembler aux flics blancs qu'ils haïssent.
S'émancipant d'un manichéisme qui aurait pu être de rigueur, Thomas Mullen fait agir ses deux couples de flics alternativement, chacun ayant ses failles, ses faiblesses, voire parfois ses forces. Si Lionel Dunlow est un pourri de la pire espèce, c'est aussi un raté fini, raciste jusqu'au bout des ongles. Son équipier est un nouveau venu qui ne tarde pas à vouloir se séparer de lui. Et donc il ne tarde pas non plus à faire une alliance de circonstance avec ces agents noirs, qui sont toujours sur le qui-vive, qui n'ont absolument pas le droit de boire sous peine d'être virés (un comble quand on voit les Blancs se murger comme c'est pas possible). Ces flics noirs sont les premiers flics noirs de la ville, et comme tels ils doivent toujours avoir à l'esprit qu'il sont l'Histoire et qu'ils doivent être irréprochables même si ceux de leurs quartiers ne les comprennent pas. Mais c'est une chose bien difficile à conserver à l'esprit surtout quand sa propre tête est mise à prix par l'ensemble d'un commissariat dont ils sont de facto exclus : ils sont cantonnés dans les sous-sols humides d'un YMCA dotés de deux toilettes, un pour eux et un pour leur officier blanc McInnis. MCInnis n'est pourtant pas un mauvais bougre, mais il est capable de falsifier des comptes-rendus pour ne pas faire de vagues. Des vagues et des morts, il va pourtant y en avoir tout au long de ces quatre cent et quelques pages où l'on côtoie la noirceur d'un monde qui se dit civilisé. Les huit flics noirs, pour dépasser leurs désillusions, savent qu'il font ce travail en souvenir de tous les noirs assassinés comme Maceo Snipes qui, en juillet 1946, dans le comté de Taylor, a été froidement abattu dans le dos pour avoir été voter comme il en avait le droit. Ou comme Lily Ellsworth dont les origines de son assassinat nous sont lentement dévoilées dans un récit sombre et impitoyable, qui se clôture cependant avec une once d'espoir.
Citation
Chandler et Hammett. De brillants écrivains. Leurs héros sont finalement de braves types contraints d'évoluer dans un environnement corrompu. En t'observant, Lucius le gentil flic, je ne peux imaginer pour toi d'endroit plus abominable qu'Atlanta. Tu ne t'apercevras pas avec horreur que le monde autour de toi est gangrené, parce que tu le sais déjà. Ici, le mal ne recèle aucun mystère.