Contenu
Destination inconnue
Poche
Réédition
Tout public
Traduit de l'anglais par Janine Lévy
Paris : Le Masque, septembre 2018
304 p. ; 18 x 11 cm
ISBN 978-2-7024-4902-8
Coll. "Agatha Christie", 70
De la radioactivité en plein désert
En 1954, en pleine guerre froide, Agatha Christie nous régale d'un roman d'espionnage sur fond d'idéologies avec des scientifiques acquis à la cause communiste et qui filent à l'anglaise chez les Soviets. Mais loin d'une vision manichéenne avec la lutte occidentale du Bien contre le Mal communiste, l'auteure nous alerte sur la manipulation et propose un personnage de villain digne d'un James Bond au cinéma. Le Spectre n'a qu'à bien se tenir !
Le début du roman plante un décor atypique entre un savant britannique qui disparait et qui a travaillé sur la fission ZE (Thomas Betterton) et une jeune femme qui tente de se suicider après un drame familial (Hilary Craven). Mais tout ceci va déboucher sur une intrigue très Agatha Christie dans l'âme. Un dénommé Jessop, des services secrets britanniques, débarque dans la chambre d'hôtel d'Hilary Craven au moment où elle prépare sa mixture meurtrière de somnifères, et il lui propose un étrange marché : puisqu'elle veut en finir, pourquoi ne pas se sacrifier pour la nation ? Il faut dire que, entretemps, la femme de Thomas Betterton, à la belle chevelure rousse, vient de périr dans un accident d'avion alors qu'elle s'apprêtait à rejoindre le contact qui lui ferait retrouver son mari. Jessop propose donc à Hilary, qui est évidemment une rouquine, de prendre sa place pour tenter de convaincre le savant de renoncer à ses idéaux et de retourner au pays. L'opération est d'autant plus dangereuse que si Thomas Betterton est passé par une cellule d'exfiltration développée et donc cloisonnée, on ne sait pas trop si les agents qu'elle rencontrera la connaissent ou pas de vue. Hilary accepte, et la voilà perdue en plein Maghreb, à sillonner des pistes et croiser des touristes occidentaux dans des hôtels de luxe en attendant d'être contactée par des agents soviétiques. On retrouve alors la maîtrise narrative de la Reine du crime qui est en terrain connu même si elle s'écarte de la Mésopotamie et de l'Égypte. La suite est encore plus digne d'un James Bond car Hilary va se retrouver cloîtrée dans un centre de recherche dans le Haut-Atlas qui se terre derrière une léproserie, où tout est compartimenté, cloisonné dans une atmosphère anxiogène. Surtout, elle retrouve son "mari", et ce dernier agit comme s'il était en présence de sa propre femme. Mais derrière le rêve soviétique, se cache un homme, industriel, qui est prêt à tout pour parfaire sa domination financière sur le monde. Hilary n'a qu'à bien se tenir. Heureusement pour elle, des esprits bienveillants veillent sur elle dans et hors le centre de recherche. En même temps, elle retrouve goût à la vie, et tombe à nouveau amoureuse. Le final révèle une légère surprise qui est cela dit la signature d'Agatha Christie avec même un discours sous-jacent qui plaide pour la cause féministe. Dans l'intervalle, l'auteure nous aura remis en bouche les peurs de l'époque, la croyance de la toute puissance du compteur Geiger et de la radioactivité, et les rivalités idéologiques qui ont depuis disparu. Et, en l'absence d'Hercule Poirot, miss Marple et consorts, l'on comprend que le succès d'Agatha Christie ne tient pas tant en ses personnages récurrents qu'en sa puissance narrative et sa compréhension de l'Humain avec ses tourments et ses complexités...
Citation
Avez-vous jamais observé une fourmilière, madame Betterton C'est très intéressant et très instructif. Des centaines et des centaines de petits insectes noirs vont et viennent en tous sens avec une détermination farouche, un affairement qui semble organisé. Et pourtant, le tout n'est qu'un vaste embouteillage. À l'image de ce misérable vieux monde que vous avez quitté. Ici, nous avons des loisirs et des activités utiles. Et l'éternité devant nous. Je vous promets le paradis terrestre, ajouta-t-il en souriant.